Des fleurs et des bougies en mémoire d’Angélique, à Wambrechies (Nord). / PHILIPPE HUGUEN / AFP

Les abribus de la petite commune de Wambrechies sont encore recouverts des affichettes rouges et blanches signalant la « disparition inquiétante » d’Angélique Six, une adolescente de 13 ans. « Elle était très gentille, très belle, elle ressemblait fort à sa maman », raconte, la gorge nouée, Noëlle Monti.

Cette Wambrecitaine de 73 ans a été « toute retournée » en apprenant la mort de l’adolescente. « C’est un quartier familial ici, on se connaît tous », ajoute-t-elle en essuyant une larme. Noëlle est venue se recueillir devant les grilles du parc Agrippin, là où a été vue vivante Angélique pour la dernière fois. Des centaines de fleurs blanches, de dessins et de peluches recouvrent l’entrée du parc de cette petite commune du Nord d’à peine 10 000 habitants. Les caméras des télévisions filment un flot incessant d’habitants venus partager leur tristesse. Trois voisines des parents d’Angélique Six racontent leur émotion après avoir suivi en direct à la télévision la conférence de presse du procureur de Lille. « Après ce qu’on a entendu, on se pose plein de questions, confie Corinne, 51 ans. Est-ce qu’il l’avait pistée ? Est-ce qu’il a fait quelque chose sur ses propres enfants ? Pourquoi personne n’était au courant de son passé ? Et dire qu’il était parent bénévole à l’école Saint-Vaast ! »

« Il », c’est David R., 45 ans, marié, père de deux enfants, chauffeur de bus chez Transpole, les transports en commun de la métropole lilloise. Condamné en 1996 pour « viol avec arme sur mineur de moins de 15 ans » (sa victime avait alors 12 ans), « attentats à la pudeur aggravés » (il avait agressé sexuellement deux femmes d’une quarantaine d’années) et « vol avec violence », l’homme interpellé à son travail samedi soir à 21 h 30 était inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Au cours de la conférence de presse lundi après-midi, le procureur de la République Thierry Pocquet du Haut-Jussé a fait savoir que le suspect « respectait globalement » les obligations liées à son fichage au FIJAIS, « c’est-à-dire une présentation tous les ans aux services de police et le signalement de ses changements d’adresse ».

Le récit glaçant d’une après-midi tragique

Cet habitant de Wambrechies avait été placé en détention provisoire en janvier 1994, à l’âge de 20 ans, avant d’être condamné par la cour d’assises du Nord le 26 mars 1996. Il avait purgé six ans et demi de prison sur une peine de neuf ans. Après avoir résidé à La Madeleine, il avait emménagé à Wambrechies, dans le même immeuble que les parents d’Angélique, puis de déménager dans une maison de l’avenue du Général-Leclerc il y a deux ans. Il connaissait donc sa victime.

Avec une certaine émotion, le procureur a retracé cette dramatique journée du 25 avril. Mercredi, c’était son jour de repos, le suspect était seul chez lui. Sa femme et ses deux fils étaient en vacances dans le Sud. Il est allé dans un sex-shop à Lille acheter des pilules contre les troubles de l’érection. Il en a absorbé deux ou trois en buvant trois canettes de bière avant de s’endormir devant la télévision. Vers 16 heures, ne se sentant pas bien, il est allé prendre l’air, a-t-il raconté aux services de police. « Il est passé devant le jardin où jouait Angélique, a détaillé le procureur. Il a eu envie d’elle. Il a dit c’était plus fort que moi, j’étais comme dans un état second ». David R. a prétexté devoir remettre un objet aux parents d’Angélique pour l’emmener chez lui, à quelques centaines de mètres de là.

C’est dans cette maison aux briques rouges, à la porte d’entrée blanche désormais verrouillée par des scellés, que la jeune fille a été violée et assassinée. « Il lui a offert à boire et rapidement, il lui a posé des questions intimes », a précisé Thierry Pocquet du Haut-Jussé. Angélique a cherché à partir, s’est mise à crier, s’est cognée à la table du séjour. David R. l’a déshabillée, enfermée dans les toilettes, lui a donné une gifle avant de lui faire subir une fellation et des pénétrations digitales. Comme Angélique continuait à se débattre, il a passé le pantalon de la jeune fille autour de son cou et l’a étranglée. L’horrible calvaire aurait duré un quart d’heure selon l’individu fiché au FIJAIS.

Un livre blanc, une urne et une marche blanche

La suite, les voisines d’Angélique l’ont aussi découverte sur une chaîne d’information en continu. « On le connaît, et jamais on aurait imaginé ça, lâche Marie-Noëlle, 67 ans. Il a détruit cette famille. Faut pas le lâcher ici dans la foule, il serait massacré. »

Les riverains devraient être nombreux mardi après-midi à la marche blanche organisée pour soutenir les parents et la grande sœur d’Angélique Six. « C’est une famille très simple sans histoire, qui élevait ses enfants normalement, explique le maire de la commune, Daniel Janssens. Ils vivent dans ce gros quartier de 600 logements où j’ai moi-même habité. C’est un quartier d’employés, d’ouvriers, de jeunes cadres et le parc est entouré d’immeubles et de maisons où les familles laissent jouer leurs enfants. » Un quartier familial, dans une petite ville tranquille reconnue pour son cadre de vie. « Comme beaucoup, je suis sous le choc, nous confie le maire, qui a mis en place dès dimanche une cellule de soutien psychologique, en plus d’un livre blanc en mairie, et d’une urne pour recueillir les dons pour la famille d’Angélique. Je connaissais de vue celui qui a tué Angélique mais je ne connaissais pas son passé judiciaire. En tant qu’élu, on est officier de police judiciaire en titre mais on n’est pas la police nationale… »

La police judiciaire, saisie du dossier vendredi dernier à 19 heures, a rapidement remonté la piste de David R. « Il y a eu beaucoup d’auditions de témoins mais sans le fichier FIJAIS, on n’aurait pas pu sortir si rapidement cette affaire », a expliqué Romuald Muller, le directeur régional de la police judiciaire de Lille. Le témoignage d’un enfant de 10 ans a été décisif, et puis il y a eu aussi l’utilisation d’un drone de la police, le travail des enquêteurs et d’un chien pisteur. Mais pourquoi ne pas avoir lancé une alerte enlèvement dès le mercredi ? « En France, il y a chaque année 50 000 mineurs signalés en fugue, dont 10 000 rien que pour le Nord, soit 20 % », rappelle Romuald Muller.

Le directeur régional de la PJ et son équipe vont désormais creuser le passé de l’individu,, qui devait être présenté au parquet ce lundi soir. Une perquisition « poussée » de la police scientifique a eu lieu à son domicile et des recherches ont été effectuées dans ses deux véhicules. L’individu a-t-il pu commettre d’autres agressions sexuelles entre sa sortie de prison en juillet 2000 et son interpellation samedi soir ? L’enquête ne fait que commencer.