Edinson Cavani et Thomas Meunier lors du match face à Guingamp, le 29 avril. / BERTRAND GUAY / AFP

Chronique. Encore une fracture au PSG, mais celle-ci ne concerne pas Neymar, ni même une cheville plus quelconque de l’effectif. C’est d’ailleurs une vieille blessure qui se réveille, entre les joueurs et les supporteurs. En cause, le latéral parisien Thomas Meunier, coupable d’avoir « liké » la photo d’un (très beau) tifo marseillais déployé au Stade-Vélodrome jeudi 26 avril.

Ce clic infinitésimal a vite été repéré et répercuté, suscitant la colère d’une partie des supporteurs parisiens, pour lesquels ce genre de fantaisie, sur fond de rivalité bien connue avec l’OM, n’est pas acceptable et témoigne d’un « manque de respect » envers le club et eux-mêmes. A toute indignation, sa contre-indignation : cette réaction a à son tour suscité une vague de réprobation contre ces supporteurs intolérants.

« Honteux » ou « salutaire » ?

Le joueur s’est exprimé sur Instagram, assurant de son engagement et dénonçant « l’irrespect et la médiocrité des propos tenus à [son] égard ces derniers jours ». Dimanche soir lors de PSG-Guingamp, l’entrée en jeu du joueur ayant été sifflée par une partie du public, les commentateurs de Canal+ y sont allés de leurs propres déplorations : « On se demande dans quelle société on vit. (…) Le type, il a “liké” des trucs sur les réseaux sociaux et ça engendre des comportements limite haineux », a regretté Eric Carrière. « Barbares », a complété Stéphane Guy.

« Honteux » pour les uns, le comportement des ultras a été jugé « salutaire » par d’autres. Faut-il absolument prendre parti en participant à l’escalade des postures moralistes ?

D’un point de vue extérieur au supportérisme, le petit cœur attribué par Thomas Meunier à une image de tribune marseillaise relève d’une sorte d’élégance ou de fair-play très sportif, consistant à féliciter un rival pour une belle réalisation. D’autant que, s’agissant d’une simple image et d’un dérisoire « j’aime », on est très loin d’une provocation. Dès lors, les réactions outragées ne peuvent résulter que d’une lamentable étroitesse d’esprit.

Extrême sensibilité

Pour autant, le feuilleton des « dérapages » de footballeurs sur les réseaux sociaux a été suffisamment alimenté pour que les plus exposés d’entre eux, dans des clubs très médiatiques, n’ignorent pas les risques d’un exercice dans lequel rien n’est anodin. On peut regretter que les esclandres déclenchés au moindre incident conduisent à une énième mise sous tutelle de la communication des joueurs et à une plus grande hypocrisie. Mais Karim Benzema sait ce qu’il fait quand il « like » un montage parodique moquant Olivier Giroud ou Didier Deschamps.

Les joueurs sont également bien placés pour connaître la sensibilité de leurs supporteurs les plus fervents. Or la saison parisienne a été émaillée d’incidents qui ont mis en cause le manque de considération de plusieurs joueurs pour le club. Le comportement de Neymar Jr a particulièrement creusé cette plaie – depuis le « penaltygate » jusqu’à la gestion en soliste de sa blessure.

Justement, une photo postée par le Brésilien sur Instagram, le 15 avril, a indiqué qu’il jouait au poker en ligne pendant que ses partenaires obtenaient le titre de champion de France face à l’AS Monaco (7-1). Son compatriote Dani Alvès n’a, pour sa part, pas craint d’évoquer le plaisir qu’il aurait à rejouer à Barcelone. Désinvoltures bénignes ou coupables ?

Le « respect », monnaie des supporteurs

Si les supporteurs exigent des joueurs une allégeance totale aux symboles de leur club, c’est aussi pour résister (un peu désespérément) à l’évolution exactement inverse : les footballeurs professionnels sont de moins en moins attachés au maillot. Peut-on les en tenir pour responsables ? Le marché des transferts en a fait des mercenaires, et les clubs en ont fait des actifs spéculatifs.

Mais en dépit du lien de plus en plus délétère avec leurs couleurs, il leur est demandé une paradoxale exemplarité dans leur engagement sur le terrain et en dehors. Personne n’est dupe, mais c’est le jeu à jouer. « Contrairement à vos contrats, le respect n’est pas négociable », a résumé une banderole au Parc des Princes. Le respect, c’est cette monnaie très virtuelle avec laquelle les supporteurs veulent être payés (de retour).

Ce genre de débat se reproduit à chaque moment d’incompréhension entre les joueurs et les supporteurs, par exemple lorsqu’un des premiers est transféré chez un rival et ainsi considéré comme un « traître » par les seconds. On doit simplement voir dans cette dramatisation le symptôme de la tension entre deux logiques parfaitement contradictoires : d’un côté un attachement inconditionnel, de l’autre l’indifférence propre à un statut de valeurs mobilières. Ne pas comprendre les réactions des supporteurs en pareil cas, c’est ne pas bien savoir ce qu’est un supporteur.