Sajid Javid, le nouveau ministre de l’intérieur britannique, pose devant les journalistes, le 30 avril, devant le Home office, à Westminster. / Dominic Lipinski / AP

« Cela pourrait être ma mère, mon père, mon oncle, ce pourrait être moi. » En affichant, dimanche 29 avril, sa compassion avec les immigrés victimes du zèle de la ministre de l’intérieur Amber Rudd, Sajid Javid, lui-même ministre du logement, avait fait un croc-en-jambe à sa collègue en même temps qu’une offre de service. Manœuvre réussie. Lundi matin, quelques heures après la démission de Mme Rudd, il a été choisi par Theresa May pour lui succéder.

Né de parents immigrés pakistanais, figure de l’aile droite du parti conservateur et eurosceptique, M. Javid, 48 ans, a résumé un jour la leçon de vie héritée de ses parents : « Ne doute pas de toi-même et ne cesse jamais de tenter ta chance. » Ultralibéral, emblème tory de l’intégration réussie, ce fils de chauffeur de bus devenu banquier puis député, arbore un portrait de Margaret Thatcher dans son bureau.

Il a le profil idéal pour tenter de désamorcer le malaise suscité par le scandale de la « génération Windrush », ces Antillais installés au Royaume-Uni depuis des décennies, visés par erreur par la politique d’« environnement hostile à l’immigration illégale » lancée en 2012 par le Home office sous Mme May et poursuivie par Mme Rudd. « Je ressens [cette situation] très personnellement », a-t-il confié dimanche au Sunday Telegraph, avant d’être pressenti officiellement pour remplacer cette dernière. Il peut y avoir des électeurs issus des minorités ethniques que cela peut inquiéter. »

Des ravages chez les conservateurs

Le scandale, qui déstabilise des citoyens issus de vagues anciennes d’immigration venues du Commonwealth, pourrait faire des ravages chez les conservateurs en leur aliénant des électeurs venus des anciennes colonies britanniques lors des élections locales du jeudi 3 mai, déjà annoncées comme victorieuses pour l’opposition travailliste.

Faute de documents attestant de l’ancienneté de leur séjour, les « Windrush » – du nom du premier navire d’immigrants jamaïcains arrivé à Londres en 1948 – de nombreux Antillais arrivés entre 1948 et 1973 et en situation parfaitement régulière, voire dotés de la nationalité britannique, ont perdu leur emploi, se sont vu interdits de soins médicaux, voire menacés d’expulsion pour alimenter les quotas de reconduite à la frontière fixés secrètement par le ministère de l’intérieur. Dernières preuves matérielles de leur date d’arrivée, leurs récépissés de débarquement ont été détruits par l’administration en 2010, du temps où Theresa May était ministre de l’intérieur.

Sitôt nommé, lundi matin, Sajid Javid a déclaré que sa « tâche la plus urgente » consistait à s’assurer que les victimes du scandale de la « génération Windrush » soient « toutes traitées avec la dignité et l’équité qu’ils méritent ». Mais il s’est bien gardé de remettre en cause la politique d’« environnement hostile à l’immigration illégale » menée par son ministère. « Il n’y a rien de mal à gérer l’immigration », avait-il tweeté en septembre 2017.

Son père, débarqué du Pakistan à Heathrow en 1961 avec une livre sterling en poche ne pourrait plus s’installer aujourd’hui au Royaume-Uni, a-t-il reconnu en 2015 dans un entretien au Telegraph.

« A l’époque, le pays avait besoin de main-d’œuvre non qualifiée, a-t-il expliqué alors. Aujourd’hui, on n’en a plus besoin, donc il est absolument juste d’avoir une politique d’immigration basée sur les talents. »

Sajid Javid a aussi approuvé en 2013 les camions publicitaires du Home office arborant dans les rues de Londres des affiches portant une énorme paire de menottes et la mention : « Illégalement au Royaume-Uni ? Rentrez chez vous ou risquez l’arrestation. »

Margaret Thatcher, son modèle en politique

Né en 1969 à Rochdale (nord-ouest de l’Angleterre), M. Javid a été élevé dans un deux-pièces abritant ses quatre frères et ses parents. Son père a travaillé dans une filature avant d’être chauffeur de bus. Il est le premier membre de sa famille à avoir suivi des études supérieures. Diplômé en économie et sciences politiques, il a été employé à de hauts niveaux de responsabilité et de salaire à New York par la Chase Manhattan Bank puis à la City de Londres par la Deutsche Bank comme chef des opérations vers l’Asie. Le fils d’immigrés est ensuite entré en politique en se faisant élire député en 2010. Marié à une chrétienne, père de quatre enfants, il ne pratique aucune religion.

Protégé du premier ministre d’alors, David Cameron, et de son ministre des finances George Osborne, Sajid Javid a été promu successivement secrétaire d’Etat au trésor, ministre de la culture puis du commerce. Il a flirté avec la campagne pro-Brexit avant de faire timidement campagne « le cœur lourd et sans enthousiasme » dans le camp opposé, probablement sous l’influence de ses mentors. Les brexiters (partisans du Brexit) lui ont alors reproché de faire passer sa carrière avant ses convictions.

Hormis Margaret Thatcher, son modèle en politique, M. Javid révère Ayn Rand, égérie des libertariens américains, auteure de chevet de Trump et des patrons de la Silicon Valley, qui magnifie le pouvoir de l’individu et fustige l’Etat. Sa proximité avec MM. Cameron et Osborne lui a valu d’être rétrogradé au ministère du logement par Mme May avec laquelle ses relations sont réputées froides. Il s’était d’ailleurs porté candidat contre elle en 2016 pour la direction du parti conservateur.

Dans le débat sur le Brexit, il s’est fait récemment l’ardent avocat de la sortie de l’Union douanière européenne, alors qu’on dit Mme May ouverte à une concession sur ce point crucial, sous la pression des députés. L’arrivée au Home office, ministère régalien lourd, de cet eurosceptique partisan du respect du vote populaire pro-Brexit de juin 2016 déséquilibre le gouvernement britannique dans le sens antieuropéen. Amber Rudd, à laquelle M. Javid succède, était une proeuropéenne convaincue. C’est désormais lui qui siégera au « cabinet de guerre sur le Brexit », qui réunit autour de Theresa May ses dix principaux ministres et définit la stratégie britannique des négociations avec les 27.