Les violences ont gâché la fête. Malgré la désunion syndicale, ce 1er-Mai s’annonçait sous de bons auspices dans la capitale. Place de la Bastille, l’ambiance était bon enfant. Le soleil était au rendez-vous et les manifestants étaient venus en famille. Mais le cortège n’a pas fait 500 mètres. La manifestation a été stoppée au milieu du pont d’Austerlitz et n’a jamais pu le franchir, repoussée par un nuage de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre tentant de contrer les assauts de plus de 1 200 individus encagoulés déployés devant la manifestation parisienne.

« On n’a même pas pu manifester », se lamentait Sofia, jeune militante CGT de Saint-Denis. De fait, le cortège n’a jamais pu vraiment se déployer. C’était, de mémoire de militant, une première pour un défilé de 1er-Mai.

« On a des points communs »

Selon le ministère de l’intérieur, 143 500 personnes ont tout de même défilé dans toute la France, 210 000 selon la CGT. « Une réussite », a même vanté la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans un communiqué qui ne dit pas un mot des violences dans la capitale. En 2017, les défilés avaient rassemblé 142 000 personnes, selon les autorités.

Avant le départ de la manifestation parisienne, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, avait déploré que ses appels à l’unité n’aient pas été entendus plus largement. Si la FSU, Solidaires et l’UNEF étaient présents, les autres confédérations ne se sont pas déplacées. S’il est rare que les cinq centrales représentatives (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CTFC) défilent ensemble à l’occasion du 1er-Mai, le contexte social tendu de ce printemps 2018 n’y aura rien changé. En cause, notamment, la « convergence des luttes » souhaitée par la centrale de Montreuil (Seine-Saint-Denis), dont la plupart de ses homologues ne veulent pas entendre parler.

« Il est important de montrer, face à un gouvernement qui essaie de diviser, qu’on a des points communs », a plaidé M. Martinez, qui a jugé qu’« il y a une grogne sociale et [qu’]il faut qu’elle s’élargisse ». « Je ne connais pas un gouvernement qui n’ait pas cédé devant la pression de la rue, a-t-il affirmé. Le premier ministre avait dit qu’il ne recevrait pas les syndicats des cheminots et nous avons rendez-vous le 7 mai. »

Cette convergence des luttes, certains politiques de gauche aimeraient également la voir se réaliser alors que plusieurs rendez-vous sont à l’agenda social ces prochaines semaines. Le 3 mai, les cheminots appellent à des rassemblements. Deux jours plus tard, c’est une marche pour « faire la fête à Macron », à l’initiative du député de La France insoumise François Ruffin, qui aura lieu à Paris. Le 22 mai, les fonctionnaires sont appelés à se mobiliser, avant les retraités, le 14 juin.

Comme le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, Olivier Faure, le numéro un du PS, est allé saluer M. Martinez. « Il faut que le mouvement s’amplifie, c’est pour ça que nous sommes là, a-t-il déclaré. Nous voulons créer le rapport de force avec le gouvernement sur la SNCF et la fonction publique. »

« Nous devons faire de ce mois de mai la séquence décisive que redoute Macron, a déclaré le porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, présent dans la capitale. Pour que la contestation trouve la convergence et l’unité des luttes. » Même son de cloche à Marseille, où défilait Jean-Luc Mélenchon, député La France insoumise des Bouches-du-Rhône. « Pour ce qui est de la jonction des forces, oui, c’est bien parti, c’est en train de se faire », veut croire M. Mélenchon, qui a cependant déploré qu’en revanche « rien [ne soit] réglé pour ce qui est de la division syndicale. »

Film italien

Pour le mesurer, il suffisait de quitter le défilé parisien pour se rendre dans le 14e arrondissement. La CFDT, la CFTC et l’UNSA y avaient donné rendez-vous à leurs militants autour de la diffusion d’un film italien sur le dialogue social. Pour eux, il s’agissait d’afficher l’unité des centrales réformistes qui, selon Laurent Berger, numéro un de la CFDT, « sont de vraies forces de propositions et de progrès, même si certains semblent l’oublier ». Ce qui n’a pas empêché le leadeur cédétiste de vertement critiquer la politique d’Emmanuel Macron. « Il n’y aura jamais ni ruissellement, ni cordée tirée par le haut, a-t-il lancé. Seuls la solidarité, l’égalité et l’accompagnement des plus fragiles nous garantiront un avenir meilleur collectivement. » Mais pour lui, la convergence des luttes est une « confusion des luttes ». « Ce n’est pas Philippe Martinez qui donne le la du mouvement social aujourd’hui », a-t-il lâché.

Même si certains de ses « camarades » étaient aux côtés de la CGT, Pascal Pavageau, le nouveau secrétaire général de FO, n’avait pas non plus répondu positivement à la proposition de M. Martinez. Lui souhaitait un 1er-Mai « purement FO », a fait savoir le successeur de Jean-Claude Mailly lors d’une conférence de presse au siège de la confédération. Mais sa position pourrait évoluer. Celui qui a haussé le ton envers le gouvernement lors de son congrès a ajouté qu’il prendrait contact avec ses homologues « dès demain », soit mercredi, pour « regarder si une action commune est envisageable ». Son mandat : « travailler à une perspective de mobilisation interprofessionnelle dans l’unité la plus large ».

Pas de quoi inquiéter Emmanuel Macron, en déplacement officiel à des milliers de kilomètres de la France, en Australie. Mardi, à son arrivée à l’aéroport international de Sydney, le chef de l’Etat s’est défendu de vouloir « esquiver » les conflits sociaux. « Vous vouliez que je fasse quoi ? Que je reste chez moi à regarder la télévision ? J’ai autre chose à faire, je continue à travailler », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il n’y a « pas de jour férié quand on est président de la République ».