Une fausse toile de Terrus. / Musée Terrus

Thomas Hoving, l’ancien directeur du Metropolitan museum de New York, avouait dans un livre (False Impressions, Touchstone Edition, New York, 1997) que 40 % des œuvres de son musée étaient des faux. Et bien, le petit musée d’Elne (Pyrénées-Orientales, 8 659 habitants) a fait mieux que le Met. Là, c’est 60 % ! Et sa collection ne porte que sur un seul artiste, un enfant du pays, Étienne Terrus (1857-1922). Sur 140 œuvres, 82 seraient des contrefaçons.

Sans vouloir porter atteinte à sa réputation, on se demande qui serait assez acharné pour peindre de faux Terrus. Certes, il fut l’ami d’Aristide Maillol. Oui, il fréquenta, un temps, Matisse et Derain. Mais on ne peut pas dire qu’il ait laissé la même trace dans l’histoire de l’art. Or, sur le marché, sa cote n’est pas mirobolante, mais pas déshonorante non plus : « entre 6 000 et 15 000 euros pour les tableaux et de 2 000 à 3 000 euros pour les dessins et aquarelles », a confié à l’AFP Eric Forcada, un historien d’art habitué des lieux. C’est lui qui a soulevé le lièvre.

« Un marché de l’art local gangrené »

La ville d’Elne a consacré à Étienne Terrus, en 1994, un petit musée municipal. Sa création doit beaucoup à Odette Traby (1939-2016), plusieurs fois maire adjointe chargée de la culture et du patrimoine. A son décès, elle légua au musée 13 œuvres de sa collection personnelle. Le fonds s’était également enrichi d’achats effectués par la municipalité en 2013, et par des associations locales, par souscription, en 2015 : une soixantaine d’oeuvres en plus.

Missionné par la mairie pour étudier ces nouvelles acquisitions, Eric Forcada se rend compte que la plupart sont des faux : par quel miracle, par exemple, le brave Terrus avait-il pu faire figurer sur un de ses tableaux un bâtiment construit des années après sa mort ? Il dénonce un « marché de l’art local gangrené. Du vendeur à la sauvette qui démarche les collectionneurs privés jusqu’aux antiquaires, en passant par les salles des ventes.»

La municipalité a porté plainte pour faux, usage de faux, contrefaçons et escroqueries. Pour le maire, Yves Barniol, «c’est une catastrophe». On peut en douter. Certes, la ville a perdu des plumes, environ 160 000 euros. Mais il faut admettre une triste chose : qui avait jusqu’alors entendu parler d’Étienne Terrus, ou d’Elne ? Depuis la découverte d’ Eric Forcada, ils font les gros titres de la presse artistique internationale, et jusqu’à un fort sérieux article du New York Times, le 30 avril, qui va jusqu’à comparer cette triste affaire à celle du faux mobilier acheté par le château de Versailles. Elne et son musée sont désormais connus du monde entier. Et il va falloir mieux étudier Étienne Terrus. Merci aux faussaires.