La Française Mélina Boughedir, ici en février 2018, lors de son procès à Bagdad, en Irak. / STRINGER / AFP

Seule dans le box des accusés, sa petite fille dans les bras, Mélina Boughedir répond succinctement, d’une voix fluette, aux questions du juge du tribunal pénal central de Bagdad, mercredi 2 mai. Sonnée, la Française de 27 ans n’imaginait pas se retrouver à nouveau devant le juge antiterroriste en Irak. Condamnée le 19 février à sept mois de prison pour entrée illégale sur le territoire irakien, sa peine déjà purgée en préventive, l’extradition de Mélina Boughedir vers la France semblait acquise. Les autorités consulaires avaient même demandé à sa famille de prendre ses dispositions pour régler son vol retour.

Lors de l’examen de l’appel – automatique en Irak – à la fin de mars, le Conseil suprême des juges en a décidé autrement, en requalifiant les charges pesant contre la Française pour y ajouter l’accusation d’appartenance à l’organisation Etat islamique (EI). « Le Conseil suprême a ordonné un nouveau procès car il a considéré qu’elle avait caché des informations sur son mari. Il estime que, dès lors qu’elle est venue vivre en Irak, que son mari était membre de Daech [acronyme arabe de l’EI] et recevait un salaire de Daech, il y a assez de preuves pour la juger à nouveau », explique le juge Souhail Abdallah, qui préside l’audience. Capturée à Mossoul, le 8 juillet 2017, avec ses quatre enfants, elle avait rejoint le territoire de l’EI dans le nord de l’Irak avec son mari – considéré mort pendant la bataille – via la Turquie et la Syrie, en octobre 2015.

« Je n’ai rien à me reprocher »

Quelques minutes avant l’audience, dans la cellule où elle attend, Mélina Boughedir dit ne pas comprendre ce revirement. Elle encourt jusqu’à la peine capitale. « Je ne suis pas au courant des procédures. J’ai été notifiée fin avril par le consul de France. Il m’a dit que mon dossier a été vérifié à nouveau. Mais on ne m’a pas interrogée sur de nouveaux éléments. Je n’ai rien à me reprocher », assure-t-elle aux journalistes. La Française dit avoir été interrogée, depuis sa capture, par les services de renseignement français, américains et irakiens, ainsi que par la police criminelle française en novembre et décembre 2017, et une fois par des juges français.

Menue, dans sa longue robe noire et son voile blanc à motifs vert et rose, la jeune femme se dit inquiète après la condamnation d’une autre Française, Djamila Bouttouatou, en avril, à la prison à perpétuité – soit vingt ans au regard de la loi irakienne – pour appartenance à l’Etat islamique. Elles partagent la même cellule au sein de la prison pour femmes des forces antiterroristes irakiennes à Bagdad, avec 31 autres femmes et enfants étrangers. Elles sont les deux seules Françaises connues des autorités consulaires – un troisième cas, celui d’un ressortissant français, leur a été notifié récemment.

Devant le tribunal, Mélina Boughedir a maintenu sa ligne de défense, sans se montrer combative. Par deux fois, elle a nié avoir prêté allégeance à l’Etat islamique, tout en reconnaissant que son mari était bien membre du groupe djihadiste, « cuisinier » mais « pas combattant ». « Il y a beaucoup de femmes qui sont là avec leur mari mais n’ont pas la croyance de Daech », assure-t-elle par l’entremise d’un traducteur, débauché par le juge le temps de l’audience à un journaliste français présent dans la salle. « Quand on est partis en Turquie, je n’étais pas au courant qu’il voulait aller en Syrie. (…) Il m’a menacée de prendre les enfants si je n’entrais pas avec lui », se défend-elle.

Retrouver ses enfants en France

Au juge qui tente de la confondre en lui présentant des photographies où elle apparaît « heureuse » à Mossoul avec son mari, Mélina Boughedir se défend à nouveau : « Que voulez-vous que je fasse ? On ne peut pas sortir, pas s’enfuir. » Lorsque ce dernier lui demande d’identifier son mari et des personnes qu’elle aurait pu connaître au sein du groupe djihadiste, la Française coopère de bonne grâce. « J’aimerais retrouver mes trois enfants en France », se contente-t-elle d’ajouter. Ses trois enfants les plus âgés ont été rapatriés en France en décembre.

Pendant l’interrogatoire, l’avocat irakien de Mélina Boughedir n’est quasiment pas intervenu. Nommé trois jours plus tôt par l’équipe de défense française emmenée par Me William Bourdon, il s’est contenté de demander un report du procès, le temps de prendre connaissance du dossier. L’homme n’est pas dans son assiette. Avant le début de l’audience, lorsqu’il a voulu se présenter à sa cliente, les gardiens l’ont menacé. « Pourquoi tu défends une criminelle ? Son mari a tué des dizaines d’Irakiens ! » En aparté, l’homme dit craindre des représailles. Le juge a accédé à sa demande : le procès a été ajourné au 3 juin.