L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a-t-elle fait preuve d’un excès de prudence en limitant en juillet 2017 la dose maximale de baclofène qu’un médecin peut prescrire dans le traitement de l’alcoolisme ? Saisi par une patiente qui estimait que cette décision avait de fait interrompu le recours à ce médicament, c’est la question qu’a examinée, mercredi 2 mai, le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française.

Commercialisé à l’origine comme relaxant musculaire pour les personnes atteintes notamment de sclérose en plaque, le baclofène a permis ces dernières années, grâce une utilisation détournée, de spectaculaires sorties de graves addictions à l’alcool. Aujourd’hui, selon Thomas Maës-Martin, époux de la requérante et fondateur du collectif Baclohelp, présent à l’audience mercredi, près de 40 000 personnes suivraient un traitement en France, dont 4 000 avec des doses supérieures à 150 mg/j.

Une hausse de 50 % du risque d’hospitalisation

Si l’ANSM avait décidé de plafonner à 80 mg/j, contre 300 mg précédemment, la posologie du baclofène dans le cadre de sa recommandation temporaire d’utilisation (RTU), c’est au vu d’une étude de l’Assurance-maladie, selon laquelle ce médicament utilisé à fortes doses (plus de 180 mg par jour) faisait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l’alcoolisme et accroissait de 50 % le risque d’hospitalisation.

« Le directeur général de l’ANSM pouvait déduire [de cette étude] une suspicion de risque pour la santé publique », a fait valoir mercredi Charles Touboul, le rapporteur public du Conseil d’Etat, estimant que la décision n’était « pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation » et appelant donc au rejet de la plainte. Le rapporteur, dont les avis sont généralement suivis, a également estimé que le nouveau seuil retenu par l’agence (80 mg) n’était pas « sérieusement contestable ».

M. Touboul a toutefois montré qu’il avait entendu les prises de positions de certains professionnels de santé, même s’il les a qualifiées de « surréactions ». Il y a eu une « incompréhension juridique de la portée juridique » de la décision de l’ANSM, liée à une « communication assez maladroite » de la part de l’agence, « au moins en début », a-t-il jugé.

L’alcoolisme pas « suffisamment pris au sérieux »

Dans les faits, les médecins peuvent toujours, s’ils le souhaitent, prescrire en dehors de la RTU de fortes doses de baclofène. Une prescription qui comporte toutefois davantage de risques juridiques pour eux en cas d’effets secondaires graves chez le patient. « L’alcoolisme n’est pas suffisamment pris au sérieux pour que l’administration accepte de prendre un risque », a donc estimé François Sureau, l’avocat de la patiente. Pour lui, « la santé de milliers de personnes alcooliques sera affectée par cet objectif d’impunité ».

« Depuis la décision de l’ASNM, on a beaucoup de mal à trouver des médecins prescripteurs, ils ont peur de prendre des risques », a expliqué, à l’issue de l’audience, Marion Gaud, de l’association Aubes, une structure qui regroupe des patients et des médecins. « Même chez nos anciens prescripteurs, beaucoup hésitent à aller au-delà de 80 mg », dit-elle.

« On demande à l’ANSM d’envoyer un courrier aux médecins leur disant qu’il est possible de prescrire au-delà de 80 mg », explique Thomas Maës-Martin, du collectif Baclohelp. La décision du Conseil d’Etat est attendue d’ici deux à trois semaines.