Mo Salah a marqué 44 buts pour Liverpool cette saison, à quatre longueurs du record sur une saison détenu par la légende Ian Rush. | Phil Noble / REUTERS

En un paraphe, il a sauvé la Roma. En une saison, il a redonné des couleurs à Liverpool. Cette demi-finale de Ligue des champions entre les deux clubs, dont Mohammed Salah a survolé la première manche sans pouvoir tout à fait tuer le suspense (5-2), est une célébration de ce que l’Egyptien a apporté à l’un et à l’autre.

Il est rare que les deux clubs soient gagnants dans un transfert, mais ce fut le cas lorsque, à l’été 2017, Salah est passé de la Roma à Liverpool, même si les supporteurs romains déplorent légitimement d’avoir perdu un joueur que l’on annonce désormais candidat au prochain Ballon d’or — et dont la valeur marchande est désormais évaluée à 168 millions d’euros.

La transaction, pour 42 millions d’euros, était passée inaperçue dans un marché des transferts de plus en plus irrationnel et focalisé sur le feuilleton du passage du Brésilien Neymar au Paris–Saint-Germain — pour une somme plus de cinq fois supérieure.

Et, aussi étrange que cela puisse paraître avec le recul, elle semblait davantage satisfaire le club vendeur. La Roma était sous pression de l’UEFA pour équilibrer ses comptes : sanctionnée en 2015 dans le cadre du fair-play financier, le club giallorosso s’était engagé à présenter un déficit maximum de 30 millions d’euros pour les deux saisons suivantes et un budget strictement à l’équilibre en 2017-2018.

« C’était le mieux que l’on puisse faire »

Pour rester sous 30 millions d’euros de déficit, le club, qui n’avait pas disputé cette année-là la Ligue des champions, avait l’obligation de vendre son meilleur joueur avant la fin de l’exercice financier, le 30 juin 2017. Il n’était pas en position de force dans les négociations : « Qui connaît un peu ce business sait ce que signifie avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête », résume « Monchi », le directeur sportif du club romain, expert du marché des transferts.

Il l’a expliqué à la radio espagnole Onda Cero : « Quand je suis arrivé, il y avait une offre de 30 millions d’euros et, avec les bonus, je suis arrivé à près de 50 millions. C’était le mieux que l’on puisse faire à ce moment-là. Si nous ne l’avions pas fait, nous ne jouerions probablement pas les demi-finales de la Ligue des champions car l’UEFA nous surveillait de près. »

Si l’UEFA vient d’annoncer que la Roma était restée dans les clous financièrement pour l’exercice passé, c’est grâce à cette négociation.

Et si Salah était le joueur majeur de la Roma la saison passée, passant d’un rôle d’ailier rapide et dribbleur à celui de buteur et organisateur du jeu, ses statistiques (15 buts, 11 passes décisives) et son âge (25 ans déjà) n’en faisaient pas encore un crack.

Mo Salah sous les couleurs de la Roma, en avril 2017. / FILIPPO MONTEFORTE / AFP

« A l’époque, ça me semblait représenter beaucoup d’euros »

En juin 2017, lorsque les propriétaires des deux clubs avaient célébré ensemble autour d’un déjeuner ce transfert, c’est d’ailleurs celui de la Roma, James Pallotta, qui avait pris l’addition. Car 42 millions, « ça me semblait représenter beaucoup d’euros à l’époque ! », s’est amusé John W. Henry, propriétaire de Liverpool, dans le Wall Street Journal. Ah, oui : le déjeuner avait eu lieu à Boston, ville des nouveaux patrons de Liverpool et de la Roma, deux milliardaires ayant réussi dans la finance avant d’investir dans le sport.

En fin de compte, les Reds ont aussi fait une bonne affaire. Depuis le départ de Luis Suarez pour Barcelone, en 2014, un buteur était ce qu’il manquait au Liverpool de Jürgen Klopp. Daniel Sturridge n’avait jamais totalement convaincu, Philippe Coutinho ne pouvait jouer ce rôle.

A l’intersaison, le staff de Jürgen Klopp cherchait encore quelqu’un pour compléter l’attaque formée par les Brésiliens Roberto Firmino, Philippe Coutinho et le Sénégalais Sadio Mané. Julian Brandt, international allemand du Bayer Leverkusen, aurait dû être celui-là, avant de refuser par peur d’être trop souvent sur le banc. Cette année, il a marqué 11 buts, quatre fois moins que Salah, qui n’était que le second choix liverpuldien.

Par bonheur pour Liverpool, Klopp a compris que Salah pouvait être autre chose qu’un ailier. Il le laisse jouer en électron libre, repiquer au centre pour marquer ses buts caractéristiques, d’une pichenette par-dessus le gardien en coupant une passe plein axe ou en frappant dans la lucarne opposée.

Si Liverpool est, mercredi soir, le premier club européen à marquer au Stadio Olimpico cette saison, les romanistes auront probablement du mal à se consoler en se disant que les comptes du club ne sont plus dans le rouge.