Le président palestinien, Mahmoud Abbas, à Ramallah, le 1er mai. / MOHAMAD TOROKMAN / REUTERS

Il a fallu vingt-quatre heures pour que la vague de condamnations monte. Dans la soirée du 30 avril, les Israéliens ont regardé massivement la présentation de leur premier ministre, Benyamin Nétanyahou, portant sur le programme nucléaire iranien. Au même moment à Ramallah, le président Mahmoud Abbas s’exprimait devant les centaines de délégués du Conseil national palestinien, le parlement de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Comme à l’accoutumée, il prononça un discours fleuve, mélant références millénaires et sujets d’actualité. Et au milieu, une diatribe sur les racines de l’antisémitisme.

M. Abbas a prétendu s’appuyer sur des auteurs juifs, dont Karl Marx, qu’il a d’abord confondu avec Staline. Le vieux « raïs » a affirmé que la haine des juifs, « très répandue à travers l’Europe », concrétisée par de nombreux massacres « depuis le XIe  siècle jusqu’à l’Holocauste », n’était pas historiquement de nature religieuse, mais s’expliquait par leur « fonction sociale, qui était liée à l’usure [prêts avec intérêt], à la banque, etc. » La preuve en serait, selon le leadeur palestinien, qu’en 1 400 ans, il n’y eut jamais le moindre crime commis contre les juifs dans le monde arabe.

Ces propos paraissent imputer la responsabilité des crimes commis à travers les siècles contre les juifs aux juifs eux-mêmes, pour leurs activités professionnelles liées à l’argent. Des propos, par ailleurs, qui sont hors sujet au vu de l’actualité dramatique qui concerne les Palestiniens : déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem le 14 mai, bilan terrible de la répression des manifestations le long de la bande de Gaza, isolement total de la direction palestinienne sous la pression des pays arabes pour accepter un éventuel plan de paix de l’administration Trump…

« Je ne dis pas qu’Israël doit être délogé, Israël existe et tout ce que je veux, c’est un Etat pour que nous puissions tous ensemble vivre en paix », Mahmoud Abbas

Mahmoud Abbas a aussi expliqué que les juifs ashkénazes n’étaient pas sémites et que les révolutions arabes étaient « une invention » des Etats-Unis. Enfin, il a répété, comme il l’avait déjà fait en janvier, qu’« Israël est un projet colonial destiné à implanter un corps étranger dans cette région ». « Mais je ne dis pas qu’Israël doit être délogé, a-t-il précisé, dans des propos rapportés par l’agence Wafa. Israël existe et tout ce que je veux, c’est un Etat pour que nous puissions tous ensemble vivre en paix. »

Avertissement

Car « l’autre » Abbas, le défenseur obstiné des négociations de paix et de la non-violence, a aussi pris la parole dans ce même discours. Il a réitéré son engagement en faveur de la solution à deux Etats, avec Jérusalem pour capitale, et son opposition au terrorisme et à la lutte armée. Il a aussi évoqué l’échec de la réconciliation à ce jour avec le Hamas, à Gaza, discutée sous l’égide de l’Egypte.

Tout en soutenant le principe de la résistance populaire, symbolisée par la « marche du grand retour » le long de la bande de Gaza, il a appelé à ne pas envoyer les enfants vers la clôture, pour ne pas créer une génération de handicapés. Un avertissement lancé à l’unisson avec les autorités israéliennes, à l’approche du 15 mai, pic de la marche, où une immense foule est attendue aux cinq points de rassemblement. L’armée craint que le Hamas appelle les protestataires à tenter de traverser la frontière après avoir découpé la clôture.

La journée de mercredi a été marquée par une succession de condamnations des propos de Mahmoud Abbas. Dans un communiqué, Benyamin Nétanyahou a souligné qu’« apparemment, le négationniste reste un négationniste ». Cette accusation escorte le président palestinien depuis la publication de sa thèse de doctorat, en 1983, dans laquelle il exprimait des doutes sur le nombre de victimes dans l’Holocauste et évoquait des formes de collaboration entre sionistes et nazis pour peupler la Palestine mandataire (sous mandat britannique) de juifs. Depuis, à plusieurs reprises, il avait tenté de corriger cette réputation. En 2014, par exemple, le raïs avait publié un communiqué dans lequel il qualifiait l’Holocauste de « crime le plus odieux commis contre l’humanité dans l’époque moderne ».

« Remarques inacceptables »

M. Nétanyahou a appelé « la communauté internationale à condamner l’antisémitisme radical d’Abou Mazen [le surnom de M. Abbas] ». David Friedman, l’ambassadeur américain en Israël, connu pour son hostilité à la solution à deux Etats et son engagement en faveur des colonies, a estimé que le président Abbas avait « atteint un nouveau fond ». « A tous ceux qui pensent qu’Israël est la raison pour laquelle nous n’avons pas la paix, réfléchissez à nouveau », écrit-il sur Twitter.

Le service d’action extérieure de l’Union européenne, pour sa part, a publié un communiqué mercredi.

« Le discours prononcé par le président palestinien Mahmoud Abbas le 30 avril contenait des remarques inacceptables concernant les origines de l’Holocauste et la légitimité d’Israël. Une telle rhétorique ne peut que jouer en faveur de ceux qui ne veulent pas de la solution à deux Etats, pour laquelle le président Abbas a plaidé de façon répétée. »