Roger : Quel est le montant « réformé » par la Commission des comptes de campagne pour Macron ? Est-ce plus ou moins par rapport aux autres candidats ? A combien s’élevait le montant réformé pour Le Pen, Fillon, Mélenchon ?

Yann Bouchez et Emeline Cazi : Le candidat Emmanuel Macron a déclaré 16 698 320 euros de dépenses à la Commission des comptes de campagne et des financements politiques. Cette dernière a décidé de « réformer », selon son terme — c’est-à-dire de corriger ce montant — pour l’établir à 16 518 781 euros. Ces « réformations » sont moins importantes que celles de Marine le Pen (873 576 euros) ou de Jean-Luc Mélenchon (434 939 euros).

Antoine : Quel est le budget moyen d’une campagne présidentielle pour les principaux candidats ?

Après réformations, la Commission des comptes de campagne a fixé les dépenses de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) à 10 241 560 euros ; à 13 794 601 euros pour François Fillon (Les Républicains). Les dépenses de Benoît Hamon (Parti socialiste), elles, ont été arrêtées à 15 008 634 euros. Jean Lassalle (Résistons !), quant à lui, n’a dépensé que 241 573 euros. Des onze candidats, il est le plus économe.

Patrick : Je suis très déçu par « Le Monde ». Votre article est manifestement orienté et hostile. Pourquoi ne publiez-vous pas la même enquête sur tous les candidats ? Qu’y a-t-il d’illégal dans ces faits ?

Ne soyez pas déçu, et au contraire, plongez-vous dans la lecture des articles publiés ces dernières semaines par Le Monde. Nous avons en effet écrit sur les dépenses de François Fillon, sur celles de Jean-Luc Mélenchon, et sur celles de Marine Le Pen. Même l’économe Jean Lassalle a eu droit à son article. Dans quelques jours, du moins d’ici à la fin du mois de mai, nous vous parlerons aussi de Benoît Hamon.

Le_babz : Peut-on dire que les comptes de campagne d’Emmanuel Macron présentent des « irrégularités » ?

La Commission nationale des comptes de campagne a estimé que le compte d’Emmanuel Macron comportait certaines irrégularités concernant, notamment, les dons. 87 600 euros de dons (soit vingt-quatre cas), ont été jugés non conformes. Ces sommes, supérieures à 4 600 euros, étaient présentées « comme effectuées par deux personnes distinctes », mais provenaient d’un compte personnel, et non joint, a expliqué la Commission, dans sa décision du 13 février publiée au Journal officiel. Pour « vingt des vingt-quatre cas concernés », le second donateur a assuré que tout ce qui était supérieur à 4 600 euros avait été versé en son nom. La Commission n’a rien trouvé à redire et s’est satisfaite de cette réponse. Dans quatre cas (18 300 euros au total), aucune attestation n’a été fournie pour justifier le dépassement du montant fixé par la loi. Cette irrégularité n’a toutefois pas entraîné l’invalidation du compte de campagne, les sommes en cause « ne représentant qu’un très faible pourcentage des recettes ». Le parquet de Paris avait été saisi de ces dossiers, mais il les a classés sans suite au printemps.

Matth : Sur la base de votre enquête, avez-vous des soupçons d’illégalité pouvant faire l’objet de poursuites judiciaires ?

Nous sommes journalistes, et non juges. A ce stade de notre enquête, nous pouvons seulement dire que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformations, les comptes d’Emmanuel Macron, comme pour tous les autres candidats. La Commission s’est intéressée à des remises accordées par des fournisseurs à l’équipe d’Emmanuel Macron. Ces remises sont-elles des dons déguisés par des entreprises alors que la loi l’interdit depuis 1995 ? La Commission a visiblement écarté cette piste.

Nous avons contacté le Parquet national financier (PNF) pour savoir si ces nombreuses ristournes accordées par la société GL Events, et par d’autres, intéressaient la justice. Le PNF n’a pas souhaité communiquer à ce sujet.

Colbv : Existe-t-il des règles sur l’utilisation des fonds durant une campagne électorale ? Et une entreprise a-t-elle le droit d’accorder des conditions commerciales différentes selon ses affinités avec ses clients ?

C’est une question centrale, en effet. Plongeons-nous avec délice dans les méandres du code électoral. L’article 52-8 dispose que « les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».

Cette question se pose précisément pour les rabais, soldes, remises en tout genre accordés par différents prestataires à l’équipe d’Emmanuel Macron. Elle se pose avec une acuité particulière pour GL Events, dont le patron est un proche du ministre Gérard Collomb et du président de la République, et qui a été particulièrement généreuse lors de certains meetings du candidat.

Cachou : Est-il vrai que des factures avec des rabais à 100 % ont été identifiées ?

Il y a eu des factures mentionnant, sur des postes de dépenses particuliers, des rabais à 100 %. Mais jamais sur une facture globale. Cela serait d’ailleurs interdit, puisque considéré comme un don de personne morale.

Omer : L’élection peut-elle être invalidée ?

Tous les comptes de campagne ont été approuvés par la Commission et ces décisions n’ont fait l’objet d’aucun appel.

Régis : Connaît-on l’origine des fonds de soutien à la campagne d’Emmanuel Macron ?

Lorsque nous consultons les comptes de campagne des candidats, l’identité des donateurs est systématiquement anonymisée. En revanche, pour Emmanuel Macron, les milliers d’e-mails — les MacronLeaks — qui ont fuité à quelques heures du second tour de la présidentielle et qui ont été publiés par WikiLeaks permettent de comprendre que l’équipe de Macron a cherché des fonds auprès d’avocats, de chasseurs de tête, de dirigeants d’entreprise, d’anciens banquiers… Bien sûr, des donateurs plus modestes ont aussi contribué à la campagne. Rappelons par ailleurs que chaque citoyen peut donner 7 500 euros, par an, au parti de son choix. Et par élection, 4 600 euros à un candidat.

Toto : Les journalistes du « Monde » ont-ils eu accès à l’intégralité des comptes de campagne ?

Le 13 février, la Commission a publié au Journal officiel ses décisions concernant les comptes de campagne des onze candidats. Depuis, elle a dû anonymiser certaines données personnelles figurant dans les milliers de documents de chacun des comptes. Cela a pris plusieurs semaines. Le premier compte consultable a été celui de Jean-Luc Mélenchon, suivi de ceux de François Fillon et de Jean Lassalle. Dès que nous l’avons pu, selon un calendrier établi par la Commission en fonction des demandes des médias, nous sommes allés consulter ces documents. Nous avons pu nous plonger dans celui d’Emmanuel Macron, vendredi 27 avril. Nous attendons à présent les comptes de Benoît Hamon et de Marine Le Pen, entre autres.

Arthur : Comment expliquez-vous que ce « scandale » Macron n’intervienne qu’après son élection alors qu’au contraire, M. Fillon a été au centre d’un lynchage médiatique pendant la campagne ?

Les comptes de campagne des différents candidats n’ont été déposés qu’à l’été 2017. Et la presse n’a eu accès à toutes ces informations qu’en février 2018. L’affaire concernant François Fillon et les soupçons d’emplois fictifs qui visent son épouse — le Penelopegate — n’avaient rien à voir avec les comptes de campagne, mais ils ont été révélés à la suite d’une enquête du Canard enchaîné.