Le plaquage du Clermontois Samuel Ezeala sur son adversaire du Racing, Virimi Vakatawa, lors d’un match de Top 14, le 7 janvier à Nanterre, qui aboutira à une perte de connaissance et une évacuation à l’hôpital du plaqueur. / Dave Winter / Icon Sport

Editorial du « Monde ». Ce sport, l’un des plus pratiqués du pays, est tombé sur la tête. Au niveau professionnel mais aussi amateur, le rugby compte ses blessés, en particulier les victimes de plus en plus nombreuses d’une commotion cérébrale. Le terme médical désigne un traumatisme crânien. En une décennie à peine, il a remplacé le diagnostic plus vague de « K.-O. ».

En France, le phénomène s’observe surtout chez les professionnels. Chaque saison du Top 14, le championnat de première division, offre l’occasion d’un nouveau bilan : l’édition 2016-2017 a enregistré 102 commotions cérébrales, presque deux fois plus que les 53 cas de la saison 2012-2013.

Les chiffres traduisent l’évolution d’un sport de contact en dangereuse mutation. Là où le rugby récompensait les passes à foison, les combinaisons inventives et les courses dans l’espace, il semble aujourd’hui produire l’inverse. Le réflexe est à l’affrontement frontal, kilos de muscles contre kilos de muscles, entre des joueurs façonnés au rythme de leurs séances de musculation. Des joueurs en voie de « robotisation », pour reprendre le mot de Daniel Herrero, l’ancien entraîneur de Toulon. La professionnalisation, depuis 1995, a transformé à la fois les corps et la façon de jouer à ce sport singulier. Désireux de marquer les esprits, certains médecins lancent un cri d’alarme et redoutent l’irréparable.

Perte de 16 500 licences

Sans caméras de télévision, la situation préoccupe aussi au niveau amateur, où l’encadrement médical est moindre. Les joueurs ont beau courir bien moins vite, plaquer bien moins fort, le risque existe. A plus forte raison pour ceux dont les gestes sont moins maîtrisés et qui auraient tendance, par mimétisme, à reproduire les séquences « vues à la télé ». Pour la seule saison 2016-2017, la Fédération française de rugby (FFR) a recensé 1 820 suspicions de commotion.

Impossible, pour l’heure, de connaître avec exactitude les séquelles de telles lésions. Une chose de sûre, cependant : la fédération, qui a communiqué, en mars, les préconisations de son « observatoire médical du rugby », a tout intérêt à prendre la question à bras-le-corps pour rassurer parents et enfants. En 2017, elle reconnaissait une perte de 16 500 licences d’une année à l’autre, sans établir les corréler avec le problème des commotions cérébrales.

De nouvelles règles fédérales ou internationales pourraient circonscrire le risque, réhabiliter la passe, la prise d’espace et d’initiative, plutôt que d’innombrables télescopages dans les « rucks », ces regroupements informels où se multiplient les collisions. Lors de la décennie précédente, des changements de réglementation ont déjà assaini la mêlée, et permis une baisse des blessures au rachis cervical.

Un changement semble aussi urgent si la FFR et la Ligue nationale de rugby, institution chargée du volet professionnel, veulent éviter une judiciarisation de la question – phénomène observé aux Etats-Unis dans le football américain, l’un des sports les plus populaires outre-Atlantique, mais aussi l’un des plus destructeurs. Le rugby est devenu professionnel. C’est un fait. Il ne doit pas oublier pour autant qu’il est un jeu, dont « le ballon est un hommage permanent à la fantaisie et au talent », naguère célébrés dans ces colonnes par Jean Lacouture.