Il n’était pas forcément le bienvenu devant plus de 300 auditeurs de justice qui s’apprêtent à prendre en septembre leur premier poste de magistrat. Eric Dupond-Moretti, l’avocat redouté par nombre de juges et de procureurs, était à Bordeaux jeudi 3 mai pour défendre la suppression de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) qu’il réclame dans les médias et violemment encore dans son dernier livre (Le Dictionnaire de ma vie, Kero, mars 2018). Olivier Leurent, directeur de l’ENM, l’avait invité dans une lettre ouverte en septembre à venir débattre et juger sur place l’école qu’il estime « incapable de former les futurs magistrats tant sur le plan professionnel que sur le plan humain. »

Le ténor du barreau a écarquillé les yeux devant le nombre de ces futurs magistrats qui se sont levés lorsqu’un des leurs a demandé à ceux qui ont exercé la profession d’avocat avant d’entrer à l’ENM de se signaler. M. Dupond-Moretti, selon qui le seul fait d’avoir été avocat avant de devenir magistrat permettrait d’avoir des juges dotés « d’humanité », leur a demandé s’ils ne se sentaient pas un « plus ». Une élève a répondu avoir davantage appris en deux semaines à l’ENM qu’en un an à l’école du barreau.

« Votre méthode est caricaturale et excessive »

« Les avocats connaissent l’échec et donc l’humilité », a-t-il plaidé avant de déplorer d’avoir rencontré « tant de juges qui prennent comme une atteinte personnelle le fait de faire un recours contre leur décision ». Sa principale critique à l’égard de l’ENM est de développer « l’entre soi » et créer « une alchimie entre le juge et procureur dont l’avocat est exclu ». Il souhaiterait un juge du siège à équidistance entre le parquet et la défense.

Dans son plaidoyer pour l’école, M. Leurent a pris des airs d’avocat enragé de la partie civile. « Votre méthode est caricaturale et excessive » a-t-il lancé. Citant le livre de M. Dupont-Moretti où est écrit que les magistrats sont « encastés [à l’ENM] dans un moule dont ils ne sortiront jamais », le directeur de l’école lui a reproché l’usage de « termes gratuits pour salir une profession » au point que le célèbre avocat a fini par s’excuser d’avoir utilisé le mot « caste ».

Il avait d’emblée prévenu au sujet de l’école : « Vous l’avez compris, suppression est un grand mot, je ne veux rien supprimer du tout. » Un étonnant rétropédalage pour ce fort en gueule qui ne semblait tout d’un coup plus assumer totalement ses écrits. Le problème est que les plaidoiries (et les confessions) s’envolent, les écrits restent. Plus grave encore est le constat, partagé par tous lors de ces deux heures trente de débat, de « comportements inadmissibles » de certains magistrats en exercice qui ne sont pas sanctionnés. Les dysfonctionnements de la justice ne viennent peut-être pas de son école.