Le sujet est pris très au sérieux. Alors que le Maroc est engagé dans la défense de son dossier en vue de l’organisation de la Coupe du monde 2026 face au puissant trio composé des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, le royaume doit lutter contre un fléau qui ronge son football depuis longtemps : la violence dans les stades et en dehors.

Dernier dérapage en date : mercredi 2 mai, le bus des joueurs du Raja Casablanca a été attaqué par des supporteurs après une défaite de leur équipe, faisant quatre blessés. « C’est une honte. Nous avons failli perdre la vie », s’est indigné un membre du staff technique.

La liste des incidents lors des matchs de championnat, dont la 28e journée se jouera samedi 5 mai, est suffisamment longue et le bilan humain élevé – ajouté aux importants dégâts matériels – pour ne pas susciter de légitimes interrogations. En février, c’étaient quatorze membres des forces de l’ordre qui avaient été blessés à Marrakech en marge du match entre le Kawkab et, déjà, le Raja Casablanca.

De véritables scènes de guérilla urbaine

Lors des quatre années précédentes, les incidents les plus graves ont eu lieu à Al-Hoceima (quatorze blessés en 2017), Casablanca (deux morts et 54 blessés en 2016), Khourigba (un mort en 2015), mais également à Agadir (2015) et Tanger (2016), où les habitants purent assister à de véritables scènes de guérilla urbaine. A chaque débordement, plusieurs fauteurs de troubles sont interpellés et jugés. Après le match Kawkab-Raja, une vingtaine de supporteurs casablancais ont ainsi été condamnés à des peines de prison ferme, signe que ce contexte de violence est pris très au sérieux par les autorités marocaines.

« La violence qui s’invite au stade est pratiquement la même que celle qu’on trouve dans la rue, à l’école, au sein des familles, au souk et dans la vie de tous les jours. Les auteurs saisissent l’occasion de se retrouver en groupe durant un rassemblement sportif pour s’adonner à des actes de violence, au vol et à la dégradation des biens publics et privés », explique le sociologue marocain Abderrahim Bourkia, chercheur au Laboratoire méditerranéen de sociologie, à Aix-en-Provence.

Pour l’auteur de Des ultras dans la ville (éditions La Croisée des chemins), sorti en février, la quasi-totalité des groupes ultras et des supporteurs ne se reconnaissent pas dans la violence et la condamnent : « Les acteurs impliqués sont-ils des supporteurs, des délinquants ou bien les deux ? La violence entre supporteurs doit être considérée comme la conséquence directe d’un processus d’interactions et d’incivilité entre les protagonistes. L’inscription au sein d’un groupe de supporteurs leur permet de s’approprier une identité propre, de construire un mode de vie, une appartenance, une identité collective face aux autres, c’est-à-dire les supporteurs d’autres clubs, ou en réaction à la société elle-même avec ses institutions et ses pouvoirs publics. »

« Echec scolaire, chômage, précarité »

Selon l’ancien international Abdeslam Ouaddou, vice-champion d’Afrique en 2004, les motivations des auteurs de violence ont forcément des causes sociales : « Beaucoup sont jeunes, voire très jeunes, et souffrent d’un manque d’éducation. Ils s’opposent à la société parce qu’ils rencontrent des difficultés et sont confrontés à l’échec scolaire, au chômage, à la précarité. Et pour exprimer cela, ils choisissent le football. C’est un problème qu’il ne faut pas négliger, et pas seulement en raison de la candidature du Maroc pour la Coupe du monde 2026. »

Régulièrement, les groupes de supporteurs critiquent violemment la Fédération royale marocaine de football (FRMF), « synonyme de pouvoir et de clientélisme pour les ultras », explique l’ancien joueur. Quant aux forces de l’ordre, elles sont l’incarnation de la domination des appareils étatiques sur les citoyens. Souvent, les supporteurs disent que les problèmes sont générés par les éléments des forces de l’ordre et des agents de sécurité.

Dans un des pays les plus sécurisés du monde arabe, la police semble paradoxalement mal formée pour gérer la violence dans les stades. « Elle peut combler ce retard si des moyens sont mis », assure Abdeslam Ouaddou, qui ne veut pas que la violence devienne un handicap dans le dossier Maroc 2026 : « Ce problème doit néanmoins être évoqué et traité. Cette violence concerne surtout les matchs impliquant des clubs. Je n’ai pas souvenir de débordements pour des rencontres de la sélection », précise-t-il.

Prenant le contre-pied des plus alarmistes, le sociologue Abderrahim Bourkia cite l’exemple de l’Italie, organisatrice de l’Euro 1980 et de la Coupe du monde 1990 : « Le mouvement ultra des tifosi, au tournant des années 1980 et 1990, avec sa coloration politique et violente, avait laissé des morts et des blessés sans pour autant endiguer les chances du pays. »