Vue d’artiste de l’atterriseur Insight. Au sol au premier plan, sous sa cloche protectrice, l’instrument SEIS qui mesurera les vibrations du sol martien. / NASA / REUTERS

La terre devrait trembler, avant l’aube, en Californie, ce samedi 5 mai. Non pas en raison d’un des séismes redoutés dans la région mais à l’occasion du décollage, depuis la base militaire de Vandenberg, d’une fusée Atlas-V emportant à son bord une mission à 1 milliard de dollars, InSight. Direction Mars. Sur laquelle cet engin de la NASA se posera le 26 novembre, après un voyage de plus de six mois et de 485 millions de kilomètres.

Quitte à décevoir les enthousiastes du spatial, ce ne sera pas une mission spectaculaire avec un rover escaladant des collines, examinant des cailloux ou prenant des photographies de paysage à couper le souffle. InSight est un atterrisseur, c’est-à-dire une plateforme immobile d’instruments scientifiques, et il ne va pas vraiment s’intéresser à ce qu’il y a sur Mars, mais à ce qu’il y a dedans. InSight est l’acronyme de Interior explorations using Seismic Investigations, Geodesie and Heat Transfert. Ainsi que le résumait, avant le lancement, le responsable du projet, Tom Hoffman (Jet Propulsion Laboratory, NASA/Caltech), malgré tous les engins envoyés sur la Planète rouge depuis des décennies, « jusqu’ici, sur Mars, on n’a littéralement fait que gratter la surface. Avec InSight ce sera la première fois qu’on étudiera la structure interne » d’une autre planète que la Terre.

Une fois posé non loin de l’équateur martien, dans la plaine d’Elysium Planitia, InSight ouvrira, comme des éventails qu’on déploie, ses deux panneaux solaires, puis prendra quelques semaines pour installer ses deux principaux instruments. Le premier, SEIS (Seismic Experiment for Interior Structures), est un sismomètre ultra-précis fourni par le Centre national d’études spatiales (CNES). La NASA a en effet profité de l’expérience du Français Philippe Lognonné (Institut de physique du globe de Paris, IPGP) en la matière. Expérience malheureuse jusqu’ici : depuis trois décennies Philippe Lognonné travaille sur un projet de sismomètre martien. Son premier instrument était à bord de la mission russe Mars96 mais celle-ci ne devait jamais quitter la Terre en raison d’une défaillance de sa fusée et se désintégra dans le Pacifique le 17 novembre 1996. Le projet suivant, NetLander (CNES et Agence spatiale européenne), de quatre petits atterrisseurs dédiés à la géophysique de Mars, ne vit jamais le jour, abandonné après la phase d’études…

Une planète à remonter le temps

Sauf catastrophe – par exemple lors de l’entrée, toujours délicate, dans l’atmosphère martienne, ou au cours de l’atterrissage –, la troisième tentative devrait être la bonne pour le sismomètre d’inspiration française. Posé à terre et placé sous une sorte de cloche à fromage qui le protégera des intempéries martiennes, SEIS « écoutera » l’intérieur de la Planète rouge, à l’affût de ses moindres vibrations. Au cours des deux années de la mission, les chercheurs espèrent ainsi détecter plusieurs dizaines de « tremblements de Mars ».

Comme on en a fait l’expérience sur Terre depuis longtemps, l’analyse des ondes sismiques est un outil précieux pour sonder les entrailles d’une planète. Elles livrent des indices sur les différentes couches qu’elles traversent. Les planétologues attendent donc de SEIS qu’il leur dise à quelles profondeurs se situent les frontières entre croûte et manteau, entre manteau et noyau, et qu’il leur fournisse des données sur la composition de ces couches. Pour ces scientifiques, qui veulent remonter à la formation des planètes rocheuses dans le Système solaire, l’information est d’importance : tandis que, sur Terre, la tectonique des plaques a progressivement digéré toute la croûte originelle, le phénomène ne s’est pas produit sur la planète rouge, très peu active (voire pas du tout) sur le plan tectonique, probablement à cause de sa petite taille.

Mars pourrait donc servir de témoin de l’état initial d’une planète tellurique. Il sera même possible de remonter plus avant dans le temps et d’avoir des informations plus précises sur la composition du disque proto-planétaire, cette nébuleuse de matière tournant autour du Soleil naissant, à partir de laquelle se sont formées les planètes. Les géophysiciens espèrent aussi comprendre comment le volcanisme martien, qui a jadis été impressionnant, c’est affaibli au point de sembler avoir disparu. Cerise sur le gâteau : la précision de SEIS devrait aussi permettre de détecter les ondes sismiques émises par… les impacts des quelques météorites qui s’écrasent chaque année sur Mars.

Taupe robotisée

Le deuxième gros instrument, HP3 (Heat flow and Physical Properties Probe), fourni par le DLR, équivalent allemand du CNES, constitue lui aussi une première. Il s’agit d’une sorte de taupe robotisée qui, en donnant pendant plusieurs semaines de nombreux petits coups de marteau, s’enfoncera entre 3 et 5 mètres sous la surface martienne pour y installer des capteurs de température. L’objectif est de mesurer la quantité de chaleur qui remonte et s’échappe de l’intérieur de la planète, de déterminer à quelle vitesse les entrailles de la planète se refroidissent mais aussi de dire à quelle profondeur l’eau martienne se trouve sous forme liquide.

Même si, pour l’heure, la question de la vie sur Mars reste ouverte, la question de la vie de Mars en tant qu’organisme géophysique devrait, d’ici au début de 2019, avoir des réponses. N’est-il pas tentant en effet de voir en SEIS un stéthoscope prenant le pouls de la planète et en HP3 un thermomètre prenant sa température ?