C’est devenu en quelques années un must pour les ingénieurs : décrocher, pendant ou juste après leur cursus initial, un master en management. L’engouement est tel que « la plupart de nos grandes écoles de management en proposent », précise Jean-François Fiorina, directeur général adjoint de Grenoble Ecole de management, qui offre ce type de cursus depuis 2002.

Les modalités de ces cours sont simples. En général, les élèves ingénieurs suivent de douze à dix-huit mois de cours supplémentaires pour décrocher les deux diplômes. C’est le cas, par exemple, à Télécom Ecole de management (TEM) à Evry (Essonne), filiale de l’Institut ­Mines-Télécom. « Notre cursus de management dédié aux ingénieurs dure environ un an », confirme son directeur adjoint, chargé des formations et de la pédagogie, Olivier Epinette. Le coût pour l’élève ingénieur est alors celui d’une école de management, soit 6 650 euros le cursus dans le cas de TEM Evry.

Les 32 instituts d’administration des entreprises (IAE, écoles universitaires de management) se positionnent aussi sur ce « marché ». Les IAE représentent une alternative moins onéreuse. Ainsi, quand l’étudiant ingénieur d’un cursus universitaire réalise une année supplémentaire dans un IAE, les frais de scolarité additionnels sont de 168 euros au titre de la double inscription. Ces instituts délivrent des masters « administration des entreprises » (MAE) du même niveau académique que ceux délivrés par les grandes écoles.

« Nous disposons d’accords avec de nombreuses écoles d’ingénieurs comme celles du réseau Polytech ou des INSA », rappelle Jérôme Rive, directeur de l’IAE de Lyon et président du réseau des IAE. L’intérêt est alors de disposer d’un cursus de haut niveau à moindre coût en rajoutant un semestre de cours.

Différence de coût

Pour les recruteurs, il n’y a pas de réelle concurrence entre un master de grande école, un master d’administration des entreprises et un MBA obtenu juste après un diplôme initial, qui représentent peu ou prou la même chose. En revanche, cela n’a pas le même prix… La différence de coût entre un master universitaire et un MBA est importante – elle peut varier de 1 à 100 –, « mais ce n’est pas l’ordre de grandeur, loin s’en faut, que j’ai en tête entre un ingénieur + MBA et un ingénieur + un autre double diplôme », explique Nathalie Deroche, la dirigeante de la « practice industrie » du cabinet Leaders Trust. Pour cette chasseuse de têtes, « le MBA est un plus. Il offre un réseau. C’est aussi un avantage, pour un ingénieur, de suivre un double diplôme, quel qu’il soit. Cela prouve sa capacité à comprendre différents systèmes ».

« 25 de nos 400 diplômés ingénieurs annuels suivent le master en management proposé par l’IAE de Nantes », René Le Gall, directeur de Polytech Nantes.

Le mariage ingénieur-manageur a donc le vent en poupe, même s’il ne concerne encore qu’un faible pourcentage d’étudiants. Selon Gérard Duwat, de l’association Ingénieurs et scientifiques de France (IESF) qui publie chaque année une étude de référence sur cette population, « la part des ingénieurs double-diplômés en management ne dépasse pas aujourd’hui les 10 % ». A Polytech Nantes, « 25 de nos 400 diplômés ingénieurs annuels suivent le master en management proposé par l’IAE de Nantes », affirme René Le Gall, le directeur de l’école. Cela précisé, ces double-diplômés n’existaient quasiment pas il y a dix ans.

Le développement du statut d’ingénieur hybride est important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la demande des employeurs se fait pressante. « Dans 70 % des recherches d’ingénieurs réalisées par nos soins, l’employeur souhaite embaucher un double-diplômé ingénieur manageur », explique Fatine Dallet, directrice chargée de l’ingénierie pour le cabinet de recrutement Michael Page. Car les ingénieurs, bons techniquement, ne sont pas obligatoirement de bons manageurs et encore moins de bons businessmen. « En demandant des doubles cursus, nos clients s’assurent de leur appétence pour l’encadrement et le commercial », ajoute-t-elle.

Une lame de fond

Cette lame de fond s’explique aussi par le fait que les ingénieurs d’aujourd’hui « encadrent » de plus en plus tôt au cours de leur carrière, avec des équipes à gérer, des délais, des coûts et une qualité à respecter. C’est très vrai pour les PME, les TPE, les start-up. C’est moins le cas pour les grands groupes, qui privilégient – mais pour combien de temps encore ? –, la « marque » de l’école d’ingénieurs plutôt que le double diplôme.

Pour le cabinet de recrutement Michael Page, la différence salariale entre un ingénieur et un double-diplômé est de l’ordre de 15 % à 20 % en début de carrière.

La dernière explication tient à l’arrivée du numérique, du big data, des transformations digitales au sein de toutes les entreprises. Ces double-diplômés sont alors des « passeurs de monde », des salariés rendant les choses plus fluides et mieux acceptées, dialoguant avec le management et comprenant le langage des techniciens.

Le diplôme ingénieur-manageur peut aussi être une bonne opération financière pour les salariés. Le retour sur investissement est parfois conséquent. Pour le cabinet de recrutement Michael Page, la différence salariale entre un ingénieur et un double-diplômé est de l’ordre de 15 % à 20 % en début de carrière. Un chiffre contesté par certaines écoles d’ingénieurs qui ne constatent pas de différence flagrante entre les deux populations. Mais tout le monde s’accorde sur le fait que ces doubles diplômes constituent un investissement à moyen-long terme.

Selon Gérard Duwat, « ce double cursus devient essentiel pour ceux qui vont ensuite accéder aux postes de direction générale ». Ainsi, les ingénieurs de 50-59 ans double-diplômés perçoivent, en salaire médian, 107 000 euros brut par an (chiffres 2017). Les simples diplômés de la même tranche d’âge ne disposent que de 90 000 euros… « Ces doubles cursus permettent de mieux comprendre le client, la stratégie, le management, la finance. Toutes compétences indispensables pour prendre des postes de direction », souligne Joëlle Planche-Ryan, responsable du pôle carrières d’Arts et Métiers Alumni (34 000 anciens).

« Chemin inverse »

L’ingénieur a une vision très « produit ». A un moment donné, s’il veut grimper, il devra se rapprocher du client pour faire le lien entre les techniciens-experts et les commerciaux. « Pour ces candidats intéressés par le management, je conseille effectivement de développer leur fibre managériale le plus tôt possible, ajoute Nathalie Deroche, de Leaders Trust. Mais pour devenir leadeur, il faudra aussi passer par différents postes de management : de l’opérationnel, de la stratégie, de la communication ou de l’influence. Il faut couvrir toutes ces formes de management pour être promu. »

La demande des employeurs est telle que les diplômés en management souhaitent aujourd’hui se former à l’ingénierie. C’est le cas de ­Victoria Ben Hamou, 22 ans. Bac S et classe préparatoire aux grandes écoles scientifiques en poche, elle a opté pour le management à TEM Evry. Elle est aujourd’hui en 2e année de l’école d’ingénieurs Télécom Sud Paris. L’année prochaine, si tout va bien, elle sera donc double-diplômée TEM/Télécom Sud Paris. « Le manageur a besoin des compétences techniques pour diriger, estime l’étudiante. C’est bon pour ma carrière. Ma tutrice de stage me l’a dit. Mes profs me le confirment. Mon entourage m’appuie. »

Pour Frank Bournois, président de la commission formation de la Conférence des grandes écoles et directeur général d’ESCP Europe, le double diplôme concerne majoritairement les élèves ingénieurs souhaitant se former au management. « Mais cela commence à toucher nos élèves qui font le chemin inverse et visent un diplôme d’ingénieur. Les double-diplômés représentent annuellement 5 % des diplômés d’ESCP Europe. Ce ratio est appelé à doubler dans les dix ans. »

Dans ce même mouvement, le réseau IAE réfléchit au développement d’un cursus d’ingénieur diplômant à destination des élèves manageurs. Dans ces instituts, personne n’a encore franchi le pas. Mais certains IAE s’y préparent activement.

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Le groupe Le Monde organise, samedi 17 mars, au palais Brongniart, à Paris, la huitième édition du MBA Fair, le Salon des MBA & Executive Masters.

Cet événement est destiné aux cadres qui souhaitent donner un nouvel élan à leur carrière, et renforcer leur employabilité. Sont attendus les responsables de plus de 35 programmes de MBA et d’Executive Masters parmi les plus reconnus des classements internationaux, dans des domaines variés : stratégie, marketing, finances, ressources humaines et management… Des conférences thématiques animées par un journaliste du Monde, ainsi que des prises de parole organisées par les écoles présentes sont également prévues.

L’entrée est gratuite, la préinscription est recommandée pour éviter l’attente.

Ce Salon sera précédé de la publication, dans Le Monde daté du jeudi 15 mars, d’un supplément sur les MBA, à retrouver également sur notre page Lemonde.fr/mba.