L’image promet de marquer les esprits : des militants du Hezbollah criant victoire, drapeau en main, en plein centre de Beyrouth, autour de la statue de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005 dans un attentat à la bombe pour lequel quatre membres du mouvement chiite sont actuellement jugés par contumace.

Cette scène, choquante pour de nombreux sunnites libanais, s’est déroulée dans la soirée du dimanche 6 mai, à l’issue des élections législatives dans le pays du Cèdre. Lundi matin, les résultats préliminaires et les projections fournies par les médias locaux laissaient augurer une victoire du camp pro-Hezbollah.

La vieille alliance dite du « 8 mars » formée autour du mouvement chiite et du Courant patriotique libre (CPL) du président Michel Aoun (droite chrétienne) est créditée de la majorité des 128 sièges du Parlement.

Le Courant du futur devrait cependant conserver le leadership de la communauté sunnite, ce qui, sur le papier, offre à son chef, le premier ministre sortant Saad Hariri, la possibilité d’être reconduit à ce poste – réservé à un sunnite en vertu du système confessionnel libanais. Mais selon les décomptes de voix initiaux, le Futur aurait perdu plusieurs sièges dans la bataille, notamment dans son fief historique de Beyrouth, que des partisans du Hezbollah ont sillonné pendant la nuit.

Les Libanais ont peu participé, du fait d’un système de scrutin complexe, d’un débat atone et de listes sans identité claire

Alors que la dernière consultation nationale remonte à 2009 – les députés élus cette année-là ayant prorogé leur mandat à trois reprises pour des raisons sécuritaires –, moins de la moitié des inscrits (49 %) ont pris part au vote, un taux en baisse de cinq points par rapport au précédent scrutin. Ce désintérêt est le reflet de la désaffection générale des Libanais pour leurs représentants politiques, qu’ils jugent volontiers corrompus et incompétents.

Ce rejet a été avivé cette année par un mode de scrutin particulièrement complexe – un régime de liste à la proportionnelle neutralisé par le système du vote préférentiel –, par un débat atone, sans enjeux politiques marqués, et par la constitution de listes attrape-tout sans identité claire.

Avant même les résultats officiels, attendus lundi en fin de matinée, le quotidien pro-Hezbollah Al-Akhbar a célébré la victoire de son favori en titrant sur la « claque » infligée à Saad Hariri. Sur les onze sièges en jeu dans la circonscription à dominante sunnite de Beyrouth-2, la moitié environ ont échappé au Futur, alors qu’en 2009 il avait triomphé dans ce district.

« C’est une grande déception à Beyrouth car Saad Hariri a pris de grands risques sécuritaires en sillonnant la capitale et ses banlieues pour que les sunnites votent en grand nombre, mais cela n’a pas été le cas, estime Ghazi Youssef, un député sortant du Futur, donné perdant. La mobilisation n’a pas été à la hauteur. La loi électorale n’était pas familière aux électeurs, et le vote était lent : des électeurs sont partis sans voter. »

Victoire des gendres du chef de l’Etat

Le Futur a également perdu des élus à Tripoli, la grande ville du nord, au profit de la liste conduite par l’ancien premier ministre et milliardaire Najib Mikati. Lundi matin, des estimations accordaient une vingtaine de sièges au Futur, contre 31 en 2009. « C’est une défaite relative pour Hariri, qui reste malgré tout incontournable sur la scène sunnite », estime Karim Emile Bitar, professeur à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Contrairement au Futur, le Hezbollah et son allié, le parti chiite Amal, ont fait le plein des votes de leur communauté. La loi électorale libanaise accorde aux chiites 27 sièges au Parlement, le même nombre qu’aux sunnites. Le CPL du président Aoun, allié au mouvement chiite depuis 2006, devrait enregistrer des résultats corrects, avec une vingtaine d’élus environ, un score à peu près stable par rapport à 2009.

Le chef de l’Etat peut notamment se féliciter de la victoire de ses deux gendres engagés en politique, l’ancien général Chamel Roukoz et le ministre des affaires étrangères Gebran Bassil, qui conforte ainsi son ambition de prendre la suite de son beau-père à la tête de l’Etat. L’alliance du 8 mars pourrait aussi bénéficier au Parlement du soutien de figures indépendantes que le Hezbollah a contribué à faire élire, comme Oussama Saad à Saïda, Jihad Al-Samad dans la région de Tripoli et Abdel Rahim Mrad, un ancien ministre de la défense, dans la plaine de la Bekaa.

Dans le camp opposé au Hezbollah, la seule bonne surprise est venue du parti chrétien des Forces libanaises, dont le nombre de sièges devrait fortement augmenter. Le Parti socialiste progressiste du chef druze Walid Joumblatt semble en mesure de continuer à peser sur la politique libanaise, avec une dizaines d’élus selon les projections. La liste issue de la société civile, Koullouna Watani, a échoué à capitaliser sur le ras-le-bol des Libanais vis-à-vis de leur classe politique : seulement une ou deux de ses candidats devrait être élue.