Vladimir Poutine et Emmanuel Macron à Versailles, en mai 2017. / STÉPHANE DE SAKUTIN/AFP

La décision d’Emmanuel Macron de maintenir envers et contre tout sa première visite en Russie, les 24 et 25 mai, sauve les apparences. « Jusqu’ici, la France a fait preuve d’une attitude constructive, saluait récemment le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Les autorités françaises ne fuient pas le dialogue, au contraire, elles sont disposées à résoudre les problèmes par la voie de la négociation. Cela coïncide entièrement avec l’approche de notre président. » Sur la forme, peut-être. Mais sur le fond, les divergences se creusent.

Le soutien apporté par la France à la Grande-Bretagne dans l’affaire Skripal, l’ex-agent double empoisonné par une substance chimique d’origine russe, selon Londres, tout comme les critiques répétées de Paris sur le soutien sans faille de Moscou à son allié syrien, n’ont pas été sans conséquences. Dans le premier cas, l’Elysée a saisi l’occasion pour expulser quatre diplomates russes – comme l’avaient fait 27 autres pays. Dans le second cas, en liaison avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, la France a participé pour la première fois, le 14 avril, à des frappes aériennes communes contre le régime de Bachar Al-Assad, accusé d’avoir eu de nouveau recours à l’arme chimique, quelques jours plus tôt, dans la Ghouta orientale.

« Position coloniale »

En direct sur la chaîne BFM-TV, le 15 avril, le président français avait ensuite présenté les Russes comme les « complices » de Damas, qui « ont construit méthodiquement, par la voie diplomatique, l’incapacité internationale à empêcher l’utilisation des armes chimiques ». C’est peu dire qu’à Moscou, Emmanuel Macron agace. « C’est déjà une sorte de position coloniale », avait ainsi raillé le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, en réaction aux propos du chef de l’Etat français incitant Donald Trump à ne pas retirer ses forces armées dans la région afin de « construire une nouvelle Syrie ».

En dépit de tous ces accrocs dans la relation bilatérale, M. Macron met un soin particulier à maintenir le contact avec Vladimir Poutine, avec lequel il multiplie les gestes de bonne volonté. Le chef du Kremlin avait déjà eu un bref aperçu de cette politique du chaud et du froid soufflés en alternance, lorsque, reçu en grande pompe à Versailles en mai 2017 par son hôte tout juste élu, il avait pu, aussi, mesurer sa rhétorique abrupte et sa façon de couper court à ses arguments.

« Nouvelle page »

Depuis, les deux hommes se sont entretenus à huit reprises par téléphone, dont la moitié durant le seul mois d’avril. A la veille des frappes aériennes en Syrie – devenu le dossier le plus épineux entre Paris et Moscou depuis l’intervention militaire russe en 2015 –, le président français a appelé M. Poutine. Il a de nouveau fait usage de sa ligne directe avec le Kremlin, le 23 et le 30 avril, avant et après son déplacement aux Etats-Unis. De part et d’autre, cependant, ces échanges restent formels. Ainsi, lors du dernier appel, le Kremlin s’est contenté de sèchement rappeler son attachement au « strict respect » de l’accord nucléaire iranien alors que l’Elysée avait tenté de plaider, outre-Atlantique, pour une nouvelle version.

Moscou et Paris partagent néanmoins un intérêt commun à préserver sur le fil du rasoir leurs relations. Pour Emmanuel Macron, le sujet est presque devenu un terrain d’affrontement avec son prédécesseur, François Hollande, pour qui « si la Russie est menaçante, elle doit être menacée », et dont il cherche à tout prix à se démarquer. De son côté, le chef de l’Etat russe considère la France comme un acteur compatible avec Moscou au sein d’une Europe jugée hostile.

« Macron est dur, mais le Kremlin sait très bien que l’humeur en France est plutôt à “ouvrons une nouvelle page”, décrypte le politologue Dmitri Orechkine. Il espère donc le séduire afin de montrer au reste du monde tous les avantages qu’il y aurait à coopérer avec la Russie. » Dans cette optique, Moscou ménage son invité.