Eric Schneiderman, grand opposant à Donald Trump, s’était érigé en relais judiciaire du mouvement #MeToo / Brendan McDermid / REUTERS

Eric Schneiderman était une icône démocrate de New York : à l’avant-garde de la « résistance » judiciaire contre les décisions Donald Trump en matière d’environnement et fortement impliqué dans le mouvement #metoo pour avoir lancé des poursuites contre la compagnie d’Harvey Weinstein, le producteur accusé depuis l’automne 2017 d’agressions sexuelles multiples. Le procureur général de New York, 63 ans, a démissionné lundi 7 mai dans la soirée, quelques heures seulement après avoir été mis en cause via un article de seize pages du New Yorker par quatre femmes qui l’accusent avoir commis des violences physiques envers elles. M. Schneiderman conteste ces griefs. Un porte-parole de la police de New York a indiqué lundi qu’aucune plainte n’avait été déposée contre Eric Schneiderman. Il a précisé que si la police était saisie par une victime présumée, elle examinerait « méthodiquement » le dossier.

Les féministes militantes Michelle Manning Barish et Tanya Selvarartnam disent avoir été étranglées et frappée de manière répétée par M. Schneiderman alors qu’elles entretenaient une relation sentimentale et sexuelle avec lui. Toutes deux disent avoir dû suivre un traitement médical. « Elles assurent qu’il les frappait, souvent après avoir bu, souvent au lit et jamais avec leur consentement », écrit le New Yorker, qui reprend leur témoignage détaillé. Michelle Manning Barish, qui eut une relation avec lui entre juillet 2013 et le 1er janvier 2015, explique avoir hurlé contre M. Schneiderman après avoir subi de soudaines violences : « Tu es fou ? ». Celui-ci lui aurait reproché de l’avoir griffé : « Tu sais, frapper un représentant de la loi est un crime ».

« Je suis la loi »

Manning Barish, qui était auparavant la compagne de Salman Rushdie, s’est confiée à l’époque confiée à l’écrivain, qui témoigne dans le New Yorker : « Il était clair pour moi qu’il avait franchi le ligne rouge », estime Rushdie. La relation dura deux ans, faites de ruptures, d’alcool, de sexe, de violence et de traumatisme. Et lorsque éclata le mouvement #metoo, Manning Barish fit allusion sur les réseaux sociaux à Schneiderman, lequel lui téléphona illico : « N’écris jamais sur moi ». « Être hors des clous est contre la loi », lui lança-t-elle. « Je suis la loi », répondit Schneiderman, selon le New Yorker.

L’écrivaine et productrice féministe Tanya Selvaratnam, qui le fréquenta à partir de 2016, livre un récit proche, faite de violence et d’humiliations : « nous ne pouvions que rarement avoir des relations sexuelles sans qu’il me batte », déclare celle qu’il qualifiait de « mon esclave noire ». Elle l’accuse d’être « un misogyne et un sadique sexuel ». Une troisième femme anonyme dit avoir vécu des expériences similaires, tandis qu’une quatrième, elle aussi anonyme, dit avoir été frappée au visage pour avoir repoussé les avances du procureur.

« Une ligne que je ne franchirais pas »

Dans le New Yorker, M. Schneiderman, 63 ans, avait nié ses accusations tout en ouvrant la voie du soupçon. « Dans mes relations intimes, je me suis engagé dans des jeux de rôles et autres activités sexuelles. Je n’ai jamais agressé personne. Je n’ai jamais eu de relations sexuelles non consenties, ce qui est une ligne que je ne franchirais pas ».

Son ancienne femme, Jennifer Cunningham, dont il est divorcé depuis 2010, a pris sa défense, expliquant que les allégations n’avaient « rien à voir avec l’homme que je connais » depuis 35 ans.

Mais face à des témoignages qui semblent accablants, Eric Schneiderman a été rapidement lâché par ses alliés, en particulier le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, en pleine campagne électorale, qui l’a appelé à démissionner. « Je ne pense pas qu’il soit possible pour Eric Schneiderman de continuer à servir comme procureur général », a estimé M. Cuomo, déclarant qu’il allait saisir la justice. « Nul n’est au-dessus de la loi, y compris le plus haut magistrat de New York. Je vais demander à un procureur de New York d’ouvrir une enquête immédiate et de traiter l’affaire comme les faits l’indiquent ».

Examen de conscience national

La stupeur est d’autant plus forte que M. Schneiderman était particulièrement impliqué dans le mouvement #metoo. Lorsqu’il avait lancé cet hiver des poursuites contre la firme de Harvey Weinstein, il avait déclaré qu’on n’avait « jamais vu quoi ce que ce soit d’aussi méprisable que cela ». Quelques semaines plus tard, à la demande du gouverneur Cuomo, il avait ouvert une enquête sur l’enterrement des plaintes contre Weinstein déposées en 2015 auprès du procureur de Manhattan Cyrus Vance (le même qui fut en charge en 2011 de l’agression par Dominique Strauss-Kahn de la femme de chambre du Sofitel de New York Nafissatou Dialo). Et lorsque fut accordé en mars le prix Pulitzer au New York Times et au New Yorker pour leur couverture de l’affaire Weinstein et du mouvement #metoo, M. Schneiderman avait salué « les femmes et les hommes courageux qui sont sortis du silence à propos du harcèlement sexuel qu’ils avaient subi de la part d’hommes puissants. Sans ces femmes, nous ne connaîtrions pas l’examen de conscience national aujourd’hui en cours ».

Son engagement en faveur de la cause des femmes n’a jamais été mis en cause. En 2010, sénateur local de l’Etat de New York, il avait déposé une proposition de loi pour pénaliser les étranglements et avait obtenu le soutien de la National Organization for Women (NOW) pour sa candidature au poste de procureur. L’organisation féministe avait salué son « engagement sans égal en faveur des femmes victimes de violences domestiques ».

Ambitions de gouverneur

Adversaire résolu de Donald Trump, M. Schneiderman voulait amender la loi pour pouvoir poursuivre les collaborateurs du président, même s’ils étaient graciés. Il devait être réélu sans difficulté procureur en novembre et on lui prêtait l’ambition de devenir gouverneur de l’Etat.

Tanya Selvaratnam accuse Schneiderman d’être « un docteur Jekyll et Mister Hyde ». « C’est un homme qui a construit toute sa carrière, son narratif personnel sur le fait d’être en public le champion des femmes. Mais il leur fait subir des sévices en privé. Il doit être sorti du jeu », estime-t-elle dans le New Yorker.

Lundi dans la soirée, Donald Trump, empêtré dans l’achat du silence d’anciennes partenaires sexuelles dont la star du porno Stormy Daniels, n’avait pas encore réagi sur Twitter. Mais son fils Donald Trump junior jubilait, exhumant tous les vieux tweets de Schneiderman, notamment celui qui proclamait « nul n’est au-dessus de la loi et je continuerai de le rappeler chaque jour au président Trump et à son administration ». « Vous disiez ???? », ricane Trump junior sur Twitter.