Donald Trump, le 5 mai 2018. / Manuel Balce Ceneta / AP

La mort lente ou le coup de grâce ? Le président des Etats-Unis, Donald Trump, devait annoncer mardi 8 mai à 20 heures (heure de Paris) sa décision sur une éventuelle sortie de l’accord international sur le nucléaire iranien, avec quatre jours d’avance sur l’échéance qu’il avait fixée aux signataires européens, soucieux de le préserver.

Le président américain leur avait en effet donné jusqu’au 12 mai pour « réparer les affreuses erreurs » du texte ratifié par l’administration de Barack Obama, faute de quoi il refuserait de prolonger l’assouplissement des sanctions américaines contre la République islamique d’Iran.

Les signataires européens ont négocié ces derniers mois avec le directeur politique du département d’Etat, Brian Hook, sans avoir la moindre visibilité sur ce que pourrait accepter le président américain, manifestement peu au fait de ces discussions. Le départ, en mars, du supérieur hiérarchique du diplomate, Rex Tillerson, remplacé par un « faucon » tout juste confirmé par le Sénat, Mike Pompeo, a accru la difficulté de l’exercice.

Avec calme ou fracas ?

Depuis plus d’un an, l’incertitude entretenue par Washington sur le sort de ce compromis a largement empêché l’Iran d’attirer le capital et les investissements étrangers qu’il anticipait à sa signature, en juillet 2015, le privant d’une large part des retombées attendues. Si M. Trump repoussait une nouvelle fois sa décision (comme il l’a déjà fait à trois reprises depuis son arrivée à la Maison Blanche, l’accord devant être renouvelé tous les quatre-vingt-dix jours), cet état de fait perdurerait. S’il se dégageait de l’accord, comme il l’a promis à ses électeurs et comme l’anticipent les autres signataires (les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), resterait à définir la manière : avec calme ou fracas.

« On attend de savoir si les Américains veulent sortir tout en ménageant un espace pour que l’Iran reste dans l’accord : ils résoudraient alors un problème de politique intérieure, mais ils préféreraient que l’Iran ne recommence pas à enrichir de l’uranium dès demain, envisage un haut responsable économique français. Dans le cas contraire, si les Etats-Unis veulent faire de l’Iran un grand méchant et tout casser, alors ils ne seront pas déçus… »

Le président iranien, Hassan Rohani, a laissé entendre lundi que l’Iran pourrait demeurer dans l’accord même sans les Etats-Unis, à condition que les Européens lui donnent des gages. Mais sa position se fait minoritaire au sein de l’Etat iranien.

Les voix se multiplient à Téhéran en faveur d’une reprise de l’enrichissement, d’un retour à l’isolement face aux sanctions internationales qui s’appliqueraient de nouveau à pleine force, voire d’une sortie du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), auquel l’Iran a adhéré en 1970, et qui ouvrirait la voie à la recherche d’une bombe atomique, soulevant à coup sûr des menaces militaires, notamment de la part du voisin israélien.

Première étape possible : les sanctions sur le pétrole

Techniquement, l’échéance annoncée par M. Trump coïncide avec la nécessité de renouveler, avant le 12 mai, la levée d’une importante mesure de sanction américaine, qui avait contribué à étouffer les ventes de pétrole iranien à l’étranger jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord, en janvier 2016.

Donald Trump a la possibilité de réimposer sans délai cette mesure : cela engagerait une guerre commerciale avec les partenaires commerciaux européens, chinois ou indiens de l’Iran, l’un des principaux producteurs de brut mondial. Washington a également la possibilité de laisser courir une période de « grâce » de cent quatre-vingts jours, afin de laisser le temps à ces partenaires de se désengager pour échapper à des sanctions bancaires unilatérales, ou de trouver un compromis avec Washington.

La probable hausse du prix du baril qui s’en ensuivrait pourrait nuire aux intérêts des Etats-Unis, mais pas nécessairement à ceux de l’Iran. « Un retour de sanctions pétrolières n’affecterait pas les ventes de Téhéran, estime Pierre Fabiani, ancien patron de Total dans le pays. Les banques européennes seraient peut-être effrayées, mais les Chinois, comme les Indiens, se moquent des sanctions américaines : ils achèteront toujours à Téhéran, avec de beaux rabais. »

Quelles peuvent être les mesures postérieures ?

Deuxième étape, en juillet, M. Trump devra décider de renouveler ou non la levée d’une vaste série de sanctions qui pèserait lourdement sur les marchés de l’énergie, du transport maritime et des assurances : elles aussi peuvent être modulées suivant une stratégie de sortie « douce » ou « dure » de l’accord.

Enfin, M. Trump pourra, s’il souhaite une pression maximale, demander au Trésor le rétablissement de mesures visant les filiales des certaines compagnies américaines qui font des affaires en Iran depuis 2016, ainsi que les principaux acteurs économiques iraniens (compagnies pétrolières, aériennes et de transport). Il pourra rétablir l’interdiction de commercer en rials iraniens, et des sanctions qui frappent l’industrie automobile et qui proscrivent la livraison de matériel d’aviation américain à l’Iran.

Les investisseurs étrangers ayant des intérêts aux Etats-Unis sont vulnérables à ces mesures de rétorsion : ils s’apprêtent à déposer de fastidieuses demandes d’exemption au département d’Etat. Les Européens ont déjà adopté, dans les années 1990, des législations dites de « blocage », destinées à protéger leurs entreprises des sanctions extraterritoriales américaines. Mais aucun investisseur de poids ne s’illusionne : ils savent qu’aujourd’hui comme alors, seul un rapport de force politique d’Etat à Etat pourra les soustraire à la pression du Trésor américain.

Une sortie « dure » de l’accord est-elle réaliste ?

Aux Etats-Unis, d’anciens officiels du Trésor craignent que des mesures trop dures et unilatérales ne s’avèrent impossibles à faire respecter, et ne nuisent à un moyen de dissuasion patiemment renforcé depuis les années 2000. « L’administration pourrait trouver un moyen de sortir du “deal”, de maintenir un régime de sanctions qui n’atteindrait pas le niveau de 2015, mais qui limiterait le mécontentement de l’Europe, estime l’expert Brian O’Toole, ancien haut responsable de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC, chargé de l’application des sanctions) sous les administrations Obama puis Trump. Mais tout dépend de l’objectif final : est-ce qu’ils veulent un changement de régime en Iran ? Si nous adoptons la posture du gars le plus dur du quartier, nous serons seuls, avec Israël… »

La Maison Blanche a en tête un précédent qui peut l’inciter à adopter la posture la plus intransigeante : son succès pour imposer des sanctions internationales sans précédent à la Corée du Nord. Elle considère que ces sanctions ont conduit le maître de Pyongyang, Kim Jong-un, à multiplier les ouvertures diplomatiques. Cette politique de « pression maximale » serait pourtant délicate à réitérer après la sortie unilatérale d’un accord soutenu par les Nations unies.

Le choix d’une ligne dure américaine risque enfin de contredire les objectifs officiellement visés. Une fracture entre signataires occidentaux de l’accord empêchera une réécriture plus coercitive de ce compromis, tout en compliquant l’endiguement régional de l’Iran que Washington appelle de ses vœux.