L’accord sur le nucléaire iranien a été signé à Vienne, le 14 juillet 2015. / AFP

Washington, 12 janvier 2018. Alors que Donald Trump renonce – temporairement – à dénoncer l’accord sur le dossier nucléaire iranien, les Européens poussent un soupir de soulagement. Avertis par téléphone par Brian Hook, un haut fonctionnaire du département d’Etat, les principaux dirigeants comprennent que, sur le fond, le président ne renonce pas à son opposition de principe à l’accord approuvé notamment par son prédécesseur, Barack Obama, mais au moins décrochent-ils un délai de quatre mois pour tenter de sauver ce texte jugé crucial.

Notamment parce qu’il met à l’abri le continent européen, « le premier à la portée d’un missile nucléaire iranien », comme le rappelle régulièrement le Luxembourgeois Jean Asselborn, un vétéran de la diplomatie des Vingt-Huit.

Rome, 3 mai 2018. Helga Schmid, la secrétaire générale du Service européen d’action extérieur (SEAE), rencontre des responsables iraniens. Elle entend évoquer avec eux le « rôle régional » de leur pays, en clair son soutien à divers groupes et milices au Yémen, en Syrie, en Irak et au Liban.

La diplomate, qui a participé à toutes les phases de la négociation du « Plan global d’action conjoint » (JCPOA), signé à Vienne en juillet 2015 et entré en vigueur en janvier 2016, a déjà eu une discussion de ce genre avec des émissaires de Téhéran, en marge du Forum de Munich sur la sécurité, en février. Des « résultats concrets » en auraient découlé.

Dans l’intervalle, les Européens ont multiplié les discussions, à Paris, Londres, Berlin et Washington. L’agenda a, en fait, été fixé par l’administration Trump : il convient certes, a-t-elle prévenu, d’évoquer le rôle de l’Iran au Moyen-Orient mais aussi un programme de nouvelles sanctions s’il devait s’avèrer que le régime développe des missiles à longue portée, contrecarre les inspections internationales de son activité nucléaire ou continue, contrairement à ses engagements, à mettre au point un armement atomique. Il faudra aussi parler de l’après-2025, date fixée, en principe, pour la levée complète des sanctions américaines, européennes et onusiennes si les termes de l’accord ont été respectés.

Ils tentent d’expliquer qu’une remise en cause de ce qui a été difficilement imposé à Téhéran pourrait aboutir à une course à l’armement nucléaire dans toute la région

Les diplomates bruxellois élaborent alors un argumentaire précis. Ils doivent tenter de convaincre Washington sans braquer Téhéran, qui ne manquerait pas de dénoncer leur duplicité. Ils objectent, en tout cas, que le JCPOA porte sur la non-prolifération et que les autres sujets doivent être traités séparément. « S’il échoue, souligne l’un d’eux, on ne sera d’ailleurs pas en meilleure position pour s’attaquer à ces questions de grande importance. » Ils tentent aussi d’expliquer qu’une remise en cause de ce qui a été difficilement imposé à Téhéran pourrait aboutir à une course à l’armement nucléaire dans toute la région.

Au discours catastrophiste du président américain sur « l’horrible JCPOA », ils opposent l’idée que celui-ci repose, non pas sur une prétendue confiance à l’égard de l’Iran, mais sur « des engagements précis, de mécanismes de vérification et de suivi à long terme par l’Agence internationale de l’énergie atomique ». D’après les termes du « deal », l’Agence est censée contrôler tous les sites nucléaires et vérifier pendant vingt ans la production de centrifugeuses, et pendant vingt-cinq ans celle de concentré d’uranium (ou « yellow cake »).

Enfin, les négociateurs tentent constamment d’attirer l’attention de leurs homologues américains sur les risques politiques qu’entraînerait une faillite de l’accord de Vienne. « La pression monte en Iran car des forces n’y ont jamais aimé l’accord. Elles soutiennent que leur pays a rempli ses engagements tandis que nous n’aurions pas fait de même », commente une source de haut niveau. Le gouvernement de Téhéran se plaint effectivement que les menaces américaines paralysent l’activité et les investissements, ce qui est d’ailleurs, à ses yeux, une violation de l’accord.

La première phase de levée des sanctions internationales a concerné plusieurs secteurs (le pétrole, le gaz, la pétrochimie, le transport, la construction navale, l’or et les métaux précieux, etc.). La deuxième ne devait intervenir qu’en 2023 et porter sur les softwares, des technologies militaires, les armes, etc. Bruxelles doit convaincre ses interlocuteurs iraniens de s’en tenir à ce plan alors même que ceux-ci soupçonnent M. Trump d’y avoir déjà renoncé.

Mike Pompeo insiste sur les « failles »

La Haute Représentante européenne, Federica Mogherini, d’autant plus attachée au JCPOA que c’est l’une des rares réalisations concrètes de son service diplomatique depuis sa création, insiste, elle, de manière régulière sur le risque d’un affaiblissement de la position du président « réformateur » Hassan Rohani. « Lui et ses partisans ne veulent pas de la bombe parce qu’il sait que cela représenterait, pour l’Iran, une rupture définitive avec l’Ouest et un isolement qui aggraverait l’affaiblissement économique du pays », appuie, dans Der Spiegel, l’ancien ministre allemand des affaires étrangères Sigmar Gabriel.

Visiblement, les Européens ont cru un moment que leurs arguments pouvaient porter à Washington. Ils comptaient sur leur interlocuteur principal, Brian Hook, et surtout sur le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, pour peser sur la décision finale de M. Trump. « Tillerson était convaincu que l’accord pouvait être préservé, l’essentiel était, selon lui, que les Européens confrontent l’Iran à des questions cruciales », affirme M. Gabriel.

Problème : M. Tillerson a été écarté au profit de Mike Pompeo qui, lors de sa première sortie internationale (au siège de l’OTAN, à Bruxelles, le 27 avril), a surtout insisté sur les « failles » d’un texte que, selon lui, M. Trump allait « probablement » rejeter.

« Nous aurons tout essayé, y compris avec le voyage de M. Macron, de Mme Merkel et de Boris Johnson [le chef de la diplomatie britannique] à Washington, soupirait, mardi 8 mai, un diplomate à Bruxelles. Mais ne croyez pas que nous sommes totalement naïfs : nous avons aussi un scénario pour protéger, si nécessaire, nos entreprises d’éventuelles nouvelles sanctions américaines contre l’Iran. »