La présidente du jury du festival, Cate Blanchett à son arrivée à l’hôtel Grand Hyatt de Cannes, le 7 mai. / ALBERTO PIZZOLI / AFP

Alice Rohrwacher et Vincent Lindon sont à l’image de ce que veut être la 71e édition du Festival de Cannes, qui s’ouvre, mardi 8 mai, sur le film Everybody knows de l’Iranien Asghar Farhadi : audacieuse et engagée.

La réalisatrice italienne, 36 ans, Grand Prix en 2014 pour son second film, Les Merveilles, est de retour avec Heureux comme Lazzaro (en compétition officielle), l’histoire d’un jeune paysan vivant à l’écart du monde, privé de la modernité par la folie d’une vieille marquise. L’acteur français, 58 ans, retrouve, lui, le réalisateur Stéphane Brizé, dont le précédent film, La Loi du marché, lui valut le prix d’interprétation masculine en 2015. Dans En guerre, également en compétition officielle, il incarne un syndicaliste mobilisé contre la fermeture de son usine. Deux cinémas, donc, pour une même conviction viscérale. Celle qu’un autre monde doit, envers et contre tout, être possible.

Dans l’entretien qu’il a accordé au Monde, Vincent Lindon revendique que « tout est politique ». Une vision de la vie, du cinéma et de son rôle social partagée, endossée, incarnée par nombre de réalisatrices et de réalisateurs sélectionnés cette année dans toutes les sections. Qu’il s’agisse de Wang Bing et de son infatigable autant que précieux travail sur la mémoire des camps maoïstes chinois ; de Spike Lee dont le BlacKkKlansman – l’un des deux seuls films américains en lice pour la Palme d’or – devrait prendre une dimension particulière à l’heure où les suprémacistes blancs du Klu Klux Klan retrouvent tribune aux Etats-Unis ; ou encore de la réalisatrice Kényane Wanuri Kahiu et son premier long-métrage, Rafiki, censuré dans un pays où l’homosexualité, thème central du film, reste punie par la loi.

Politique aussi, la décision du Festival de sélectionner L’Eté, du cinéaste et metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, assigné à résidence à Moscou pour des faits de détournements de fonds qu’il nie farouchement. Politique, enfin, le choix de ne prendre aucun film produit par Netflix au moment où toute l’industrie du cinéma voit son modèle économique tanguer.

Grand mouvement de libération de la parole

Il y a cinquante ans, Cannes bouillonnait à l’unisson d’un printemps de contestations et de revendications. Autre temps que ce mai 2018. Et pourtant. Moins glamour que certaines éditions passées, a priori moins fréquentée par les grandes stars américaines, la manifestation cannoise n’en sera a priori que plus proche de son époque. Plus de six mois après le début de l’affaire Weinstein, les répliques de ce scandale mondial continuent de se faire ressentir. Cate Blanchett, la présidente de ce 71e jury, vient ainsi de raconter comment elle a aussi eu à subir les agissements de l’ex-magnat hollywoodien, autrefois omniprésent autour du Palais des festivals.

Parité, égalité salariale entre hommes et femmes du septième art seront aussi des thèmes débattus sur la Croisette, à l’initiative, entre autres, du collectif 5050 pour 2020, lancé au moment des Césars. Dans ce grand mouvement de libération de la parole et de mobilisation, un autre tapis rouge fera à n’en pas douter parler de lui. Celui sur lequel devraient se retrouver, le 16 mai, plusieurs actrices dont les témoignages nourrissent le livre collectif Noire n’est pas mon métier (Seuil, 128 pages, 17 euros) sur les discriminations, les brimades et autres comportements racistes vécus sur les tournages.

En parlant d’En guerre, Vincent Lindon estime que Cannes « est la plus belle plate-forme planétaire que l’on puisse [lui] offrir ». Un avis qui semble très partagé, à quelques heures de la cérémonie d’ouverture.