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Au coup d’envoi de la finale de Coupe de France entre le Paris Saint-Germain et Les Herbiers, mardi 8 mai, les travées du Stade de France illustreront le fossé qui sépare ces clubs : le triple tenant du titre à 540 millions d’euros de budget aura son public, et le finaliste-surprise à 2 millions, le sien. Deux mondes du football cohabiteront le temps d’un match au Stade de France.

Dans une note réalisée pour la Fondation Jean-Jaurès, que Le Monde publie en exclusivité, Pierre Rondeau, économiste du sport, et Richard Bouigue, adjoint socialiste à la mairie du 12e arrondissement de Paris, abordent le football-business précisément par ce biais très visible : celui de la métamorphose des stades et de la composition sociologique du public qui s’y rend.

Les auteurs partent d’un constat vérifiable chez beaucoup de clubs repris ces dernières années par des investisseurs extérieurs aux poches profondes : la disparition des gradins de « la frange populaire de la population, remplacée par les classes moyenne et supérieure aisée ».

« Les stades sont à moitié vides, l’ambiance a disparu, au profit d’un calme plat, aseptisé, dépourvu de toutes violences et de peurs (…) Les supporters sont oubliés, chassés des enceintes, remplacés par une classe aisée, qui regarde silencieusement les joutes hebdomadaires, à la recherche des bénéfices externes du football. »

Le stade de football, « lieu affectif, mémoriel, social », est désormais barré pour un certain public – ceux qui ne peuvent plus se payer des places ou des abonnements, mais aussi ceux qui le peuvent mais font trop de bruit, ont trop de fumigènes ou de banderoles hargneuses – remplacés, davantage économiquement que numériquement, par ceux que les auteurs appellent « le peuple des loges ». Moins supporteurs d’une équipe que clients d’un spectacle, ils viennent de temps en temps et pour certains d’entre eux regardent, littéralement, le match de haut depuis les tribunes VIP des stades modernes, « ne se mêlant pas à la foule, préférant picorer le spectacle dans des tribunes ultra-sécurisées, déconnectées du reste de l’enceinte. ».

Pierre Rondeau et Richard Bouigue voient dans cette lutte sociale dans le stade, conséquence de « l’avènement du football moderne qui met la rentabilité financière au cœur des priorités des propriétaires des clubs », un reflet de celle qui se déroule en dehors. Ce sport aux racines populaires, comme l’a raconté Mickaël Correia dans son livre Histoire populaire du football, « a été privatisé, spolié, ravagé, dépouillé, confisqué (…) subtilisé aux fans et offert aux puissants », finissant en ce début de XXIe siècle « oublié dans les abymes du capitalisme moderne et du néolibéralisme triomphant. ».

« Voir un match comme on assiste à un opéra »

Le stade est un point d’entrée idéal pour illustrer les dérives du football-business car c’est le lieu où convergent deux des ingrédients nécessaires à son existence, la passion des supporteurs et l’argent. Pour les équipes dirigées par des investisseurs en recherche de profit, le second est toujours préférable au premier. Leurs stades « offrent des prestations générales de meilleure qualité » avec « espace VIP et loges [qui] forment des espaces privatisés, dont l’accès est limité aux rares personnes munies d’un sésame qui n’est pas accessible à la vente. » Cela aboutit à un « processus de séparatisme social qui concerne toute une partie de la frange supérieure de la société et que l’on aperçoit les soirs de match. »

Pour les spectateurs qui ne montent pas jusqu’aux loges, le prix des places devient une simple variable d’ajustement. Le modèle anglais perfectionné par Manchester United, Liverpool ou Arsenal, et aujourd’hui adopté par le PSG, nécessite « de générer de l’argent d’abord, pour pouvoir le dépenser ensuite, conformément au fair-play financier », rappelle au Monde Pierre Rondeau. « La billetterie devient une manne financière, à la fois avec le prix des billets et des loges louées 600 000 euros ».

Jay-Z, Beyonce et David Beckham lors d’un match du PSG face à Barcelone, le 30 septembre 2014. / FRANCK FIFE / AFP

La critique, qui porte à gauche, et le diagnostic pessimiste peuvent parfois paraître un peu exagérés. « Maintenant, on vient voir un match comme on assiste à un concert de musique classique, à un opéra ou à un ballet », écrivent les auteurs et on imaginerait presque les matchs de foot comme une scène de Hunger Games, avec le 1 % perché dans les loges aux buffets remplis regardant à peine un sport qui ne les intéresse pas vraiment, pendant que les 99 % se pressent dans des tribunes surfacturées et silencieuses.

On pardonne ces quelques hyperboles parce que le fond du problème est bien réel et que les auteurs sont des amoureux du sport qui ne se contentent pas de la critique pure. Ils prêchent qu’un autre football est possible. « Je ne dis pas que tout va mal et qu’on court à la catastrophe, nous dit Pierre Rondeau, Je dis que si on continue comme cela, avec l’augmentation de la télé-dépendance et des droits télévisés toujours plus élevés, il y a un risque que cela explose. »

Dans Le foot va-t-il exploser ? Pour une régulation du système économique du football, livre qu’il cosigne avec Richard Bouigue (éditions de l’Aube), ils énumèrent les excès qui accompagnent le développement économique effréné du football, les mêmes que l’on retourne dans n’importe quel autre secteur économique : inégalités, exploitations, dépendances, abus. La régulation internationale qu’ils prônent ne doit pas « intervenir directement dans les marchés ou réduire la compétitivité, mais corriger ces défaillances », avance Pierre Rondeau. Cette régulation passe par des mesures concrètes, comme la mise en vente de certaines places à un prix bas et fixe, qu’ils étayent dans le livre et sur les réseaux, pour faire vivre un débat salutaire.