Theresa May au 10 Downing Street, à Londres, le 8 mai 2018. / HANNAH MCKAY / REUTERS

Alors que son gouvernement et le Parti conservateur sont au bord de l’implosion sur le Brexit, Theresa May va devoir trancher. Mardi 8 mai au soir, la Chambre des lords a en effet mis au défi la première ministre britannique en votant un amendement favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’Espace économique européen (EEE, soit l’Union européenne plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein), autrement dit dans le marché unique.

Quelques heures plus tôt, le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, lui avait lancé un défi inverse en qualifiant de « fou » le projet d’union douanière de compromis que Mme May veut faire adopter par son gouvernement avant le Conseil européen des 28 et 29 juin. Deux ans après le référendum qui a décidé la sortie de l’UE et moins d’un an avant le Brexit officiel, Londres ne sait toujours pas quel régime douanier il souhaite avec ses voisins de l’UE.

L’avertissement des Lords est retentissant. Par 247 voix contre 218, ces personnalités non élues ont adopté un amendement à la loi sur la sortie de l’UE selon lequel le maintien dans l’EEE doit être « un objectif du gouvernement dans la négociation » sur le Brexit. Le projet de loi en question vise à mettre fin à la suprématie du droit européen tout en le transposant dans le droit britannique.

Double rébellion

Le vote de mardi soir traduit une double rébellion : celle de 17 Lords conservateurs qui ont approuvé l’amendement déposé par un Lord travailliste, mais aussi celle de 83 Lords travaillistes qui ont bravé la consigne de leur parti en joignant leurs voix à celle des libéraux démocrates, proeuropéens.

Ce début de soulèvement côté Labour souligne la position ambiguë de Jeremy Corbyn, le leader travailliste, qui refuse de défendre le maintien du pays dans le marché unique, pourtant souhaité par 87 % des adhérents du parti, selon un sondage. « Fantastique résultat conforme à la volonté des membres et sympathisants du Labour, des syndicats et du patronat, a tweeté Chuka Umunna, figure proeuropéenne du Labour. Le pays, l’emploi et notre économie doivent passer avant tout. »

Le vote des Lords constitue la treizième défaite du gouvernement sur le même projet de loi devant cette Chambre qui n’a pas le dernier mot pour voter les lois (rôle qui revient à la Chambre des communes). Mais il porte sur un point central du Brexit sur lequel les députés vont désormais devoir débattre et se prononcer, au grand dam de Mme May, qui craint l’étalage des divisions et l’affaiblissement de sa position dans la négociation avec Bruxelles.

L’inconfortable position de Theresa May avait été soulignée quelques heures avant le vote des Lords par l’entretien accordé au tabloïd Daily Mail par Boris Johnson. Se posant une fois de plus en champion du Brexit face à la première ministre, le patron du Foreign Office y torpille le projet de Brexit très édulcoré désormais défendu par Mme May. En position de faiblesse, celle-ci n’a pas répliqué.

« Fouillis bureaucratique »

Baptisé « partenariat douanier », le plan de la première ministre consiste pour le Royaume-Uni à percevoir à ses frontières les taxes pour le compte de l’UE sur les biens transitant par son territoire vers les Vingt-Sept, tout en appliquant ses propres taxes sur les produits destinés à son marché intérieur. Un système « fou », selon M. Johnson, qui créerait un « fouillis bureaucratique », et rendrait « très très difficile » la conclusion en solo par Londres d’accords de libre-échange que font miroiter les partisans du Brexit.

Les promoteurs de ce « partenariat » reconnaissent que les dispositifs technologiques de contrôle de la destination des marchandises qu’il suppose mettraient cinq ans à être mis en place. L’UE, elle, le qualifie de « pensée magique ». Les europhobes du gouvernement le considèrent comme un moyen de reculer indéfiniment le Brexit.

Pourtant, c’est ce « partenariat douanier » que Mme May souhaite faire adopter par son gouvernement comme base de négociation. Ayant fait de l’adhésion à une union douanière une « ligne rouge » de son gouvernement, mais confrontée aux inquiétudes sur les conséquences pour l’emploi et l’économie d’un retour aux droits de douane avec le continent, elle tente cette union douanière qui n’en est pas une.

La première ministre utilise pour cela une rhétorique implacable : si le gouvernement ne se met pas d’accord, le Parlement pourrait s’en charger en imposant un recul encore plus net. Les coups de semonce des Lords accréditent cette menace.