Le président du Sénat, Gérard Larcher, le premier ministre, Edouard Philippe et le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, lors de la cérémonie du 8 mai à Paris. / ETIENNE LAURENT / AFP

Cela ressemble à une interminable partie d’échecs. Ou plutôt à une guerre des nerfs, entre un gouvernement à l’offensive et un Sénat, qui tente tant bien que mal de résister. Une partie inégale dans laquelle le pouvoir exécutif profite d’avoir la main pour avancer constamment de nouveaux pions, dans l’espoir de faire plier le Palais du Luxembourg.

La réforme des institutions a été lancée mercredi 9 mai avec la présentation en conseil des ministres du volet constitutionnel, qui représente l’un des trois projets de loi de ce vaste projet annoncé par Emmanuel Macron en juillet 2017.

Sans surprise, le gouvernement a confirmé plusieurs mesures relativement consensuelles, comme la suppression de la Cour de justice de la République, la disparition du statut de membre de droit du Conseil constitutionnel pour les ex-chefs de l’Etat, ou la nomination des magistrats par le Conseil supérieur de la magistrature.

« Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un projet de révision constitutionnelle fait régresser les droits du Parlement »

Si ces dispositions ne « présentent pas de difficultés majeures » au président du Sénat, Gérard Larcher a en revanche réaffirmé son désaccord avec les modifications apportées par le gouvernement pour la fabrique de la loi. « Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un projet de révision constitutionnelle fait régresser les droits du Parlement », a-t-il regretté lors d’une conférence de presse, en dénonçant une « mise sous tutelle du pouvoir législatif ».

Dans son viseur : la volonté de l’exécutif d’instaurer une limitation du droit d’amendement, une réduction des navettes parlementaires au profit de l’Assemblée, ou de donner la priorité à certains textes gouvernementaux dans l’ordre du jour.

Ces dispositions, présentées par le premier ministre, Edouard Philippe, comme des outils visant à aboutir à une plus grande « efficacité » du travail parlementaire, restent massivement critiquées par l’opposition de droite comme de gauche, à l’Assemblée comme au Sénat. A l’exception des députés de la majorité, l’immense majorité des parlementaires s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme une restriction de leurs prérogatives.

M. Larcher s’est une nouvelle fois fait leur porte-parole. Après avoir souligné − comme à son habitude – qu’il demeurait « ouvert » et toujours disposé à trouver un accord, ce dernier a tranché : un affaiblissement des pouvoirs du Parlement « n’est pas négociable ». Or, ce texte nécessite l’appui du Sénat, dominé par la droite. Toute réforme constitutionnelle devant être votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, puis obtenir une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Parlement réuni en Congrès.

Manœuvre subtile

Un blocage subsiste donc sur ce volet. Mais alors que le premier ministre s’était engagé à présenter les trois projets de loi en même temps le 9 mai, l’exécutif a finalement pris soin de découpler leur présentation pour se donner les moyens de gagner le bras de fer. La manœuvre, subtile, apparaît au jour : elle consiste à introduire des mesures défavorables au Sénat dans les deux autres projets de loi (ordinaire et organique), qui seront eux présentés en conseil des ministres le 23 mai, afin de contraindre le Sénat à voter la partie constitutionnelle.

Dans les deux textes ordinaire et organique envoyés au Conseil d’Etat – que Le Monde s’est procuré –, le gouvernement a en effet confirmé sa volonté de mettre en œuvre les trois engagements de campagne du candidat Macron (baisse de 30 % du nombre de parlementaires, fin du cumul des mandats dans le temps et instauration d’une dose de 15 % de proportionnelle aux législatives en 2022). Mais il a aussi ajouté deux dispositions, qui constituent de nouveaux casus belli pour le Sénat : le texte prévoit un renouvellement complet de cette institution en 2021 – et non par moitié comme c’est le cas actuellement – et une nouvelle répartition des sénateurs par département sur la même méthode que celle utilisée pour la répartition des députés, en passant de « la tranche progressive à la tranche unique ». Ce qui devrait baisser la représentation des sénateurs dans les zones les moins peuplées.

Or, ces deux mesures figurent dans l’avant-projet de loi ordinaire. Celui sur que le gouvernement peut faire adopter avec sa seule majorité à l’Assemblée, sans avoir besoin du soutien du Sénat…

« Passage en force »

Sans attendre la présentation du texte ordinaire, le 23 mai, Gérard Larcher a dénoncé ces deux points précis, en ne les jugeant « pas acceptables ». A ces yeux, un renouvellement complet du Sénat en 2021 est « contraire à la Constitution » et nécessite une révision de la loi fondamentale. « On porterait atteinte à la continuité de l’Etat », s’est-il alarmé. Il a aussi annoncé que son institution allait « proposer d’inscrire dans la Constitution » le principe de l’ancrage départemental des sénateurs, pour disposer d’un verrou face au gouvernement.

Lequel a dégainé ses deux nouvelles mesures, dans l’espoir d’en faire des armes de dissuasion massive. L’idée étant de forcer le Sénat à accepter un accord sur la partie constitutionnelle, en échange d’un recul sur les deux nouvelles lignes rouges de M. Larcher sur le texte ordinaire. Une méthode peu au goût de Bruno Retailleau, qui dénonce « un passage en force ». « On pourrait trouver un compromis pour l’intérêt général mais chaque jour qui passe, le gouvernement met la barre le plus haut possible et s’ingénie à ce qu’on s’oppose à cette réforme », regrette le patron des sénateurs Les Républicains. Avant de lancer : « Macron veut dynamiter les clivages mais il ressuscite les conflits. »

Débutée il y a déjà plus de six mois, la partie d’échecs n’est pas prête de s’arrêter. Si le premier ministre souhaite un examen du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée d’ici à l’été et au Sénat à la rentrée, il ne pense pas que les deux chambres parviendront à voter le texte dans les mêmes termes lors de la première lecture et mise sur un accord en seconde lecture. Ce qui laisse encore du temps pour trouver un terrain d’entente… Mais M. Macron n’est plus à quelques mois de retard près. Après avoir promis une adoption définitive de cette réforme pour l’été 2018, le chef de l’Etat a dû revoir ses ambitions et se fixe désormais comme horizon… l’année 2019.