Documentaire sur Toute l’Histoire à 20 h 50

Georges Pompidou, Jacques Chirac et Georges Séguy, le 27 mai 1968, à Paris. / AFP

C’était il y a cinquante ans : des manifestations étudiantes et des grèves générales éclataient partout en France. Désemparé, le gouvernement s’efforçait de montrer qu’il gardait le contrôle de la situation. En 1998, Patrick Rotman et Virginie Linhart signent Mai 68 : dix semaines qui ébranlèrent la France. Ce film en deux parties, éclairant la crise politique qui s’est jouée alors au sommet de l’Etat, se distingue tout d’abord par la richesse des témoignages recueillis sur plusieurs décennies. Certains protagonistes tels Alain Peyrefitte, ministre de l’éducation à l’époque, Maurice Grimaud, préfet de ­police de Paris, ou Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, racontent comment ils ont vécu cet événement, quelques mois après, puis en 1978, en 1988 ou en 1998.

Sollicités tous les dix ans, ils n’ont ainsi cessé de se remémorer Mai 68. De telle sorte que ce film donne à voir un événement inoubliable. Si, à l’écran, les visages vieillissent, le ton reste sûr, les souvenirs intacts. Donnant un sens rétrospectivement à ce qui s’est passé, chacun entend laisser une empreinte lourde sur la mémoire de l’événement.

Jacques Chirac badin

Cette histoire politique se retrouve toutefois prise en défaut, notamment lorsque les témoignages se contredisent, et c’est là le second intérêt de ce film. Les divergences de vues entre les récits des différents acteurs politiques et syndicaux sont ici subtilement mises en scène. Interviewé en 1978, Jacques Chirac conte goulûment ses contacts secrets avec la CGT, lorsqu’il était secrétaire d’Etat à l’emploi dix ans plus tôt, un témoignage démenti avec force par Henri Krasucki. Ainsi, des zones d’ombre subsistent sur ce qui s’est tramé en coulisses.

Curieusement, ce ne sont pas les confidences de Daniel Cohn-Bendit, très lucide sur son passé soixante-huitard, qui donnent du piment à ce film, mais celles de ce même Jacques Chirac : celui-ci explique que, pendant que la rue est en feu et la France paralysée, Pompidou et ses collaborateurs discutent cigares Davidoff et parties de chasse. Avec un détachement frisant l’arrogance, Jacques Chirac évoque Mai 68 comme s’il s’agissait d’une péripétie. Ces badineries, qu’il ponctue d’un « n’est-ce pas ? » au charme désuet, traduisent toutefois une cruelle réalité : le gouvernement ne savait plus à quel saint se vouer.

Peyrefitte droit dans ses bottes

Ce témoignage tranche avec celui de M. Peyrefitte, qui, lui, mesure parfaitement l’enjeu de l’exercice. Conscient que la mémoire collective d’un événement n’est pas fixe et que l’histoire de Mai 68 s’écrit aussi à la télé­vision, l’homme politique fait valoir la version de son camp. Droit dans ses bottes, ce baron du gaullisme soutient que le gouvernement est toujours resté maître de la situation.

Tout aussi conscients des enjeux et tout aussi sûrs de leurs propos, le communiste Charles Fiterman et le cégétiste Georges Séguy affirment pour leur part que, face aux étudiants comme face au pouvoir, le PCF et la CGT ont su se placer. Il s’agit pour eux d’imprimer l’idée qu’ils n’ont pas laissé passer leur chance de prendre le pouvoir et que c’est grâce à eux que la paix sociale est revenue. C’est là que le commentaire de Patrick Rotman s’avère précieux. Ne laissant pas les paroles des acteurs politiques et syndicaux noyer son film, le réalisateur conclut fort justement que, en Mai 68, les communistes furent les meil­leurs alliés des gaullistes.

Mai 68 : dix semaines qui ébranlèrent la France, de Patrick Rotman et Virginie Linhart (Fr., 1998, 2 × 52 min).