Le parc de Jesus Green au nord de la ville de Cambridge lors du Caesarian Sunday, ce dimanche 6 mai. / Pierre-Yves Anglès

Chronique britannique. Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et en Sorbonne, Pierre-Yves Anglès raconte son semestre à l’université de Cambridge en Angleterre.

Jeudi 3 mai après-midi, un e-mail de mon collège annonçait le Caesarian Sunday du dimanche suivant et nous mettait explicitement en garde : « Lorsqu’un manque de civisme ou un acte illégal seront identifiés, il y aura une réponse rapide pour circonscrire l’incident. ». Mon collège insistait aussi sur la présence de policiers qui n’hésiteraient pas à procéder à des arrestations. Entre le nom mystérieux qui incluait César et la menace du crime, je m’attendais donc à l’organisation d’une orgie romaine hautement transgressive.

« Historiquement, le Caesarian Sunday ne faisait pas dans la dentelle »

La fête du travail britannique est un jour férié, le Early May Bank Holiday, qui a lieu tous les premiers lundis de mai. Depuis près de quatre-vingts ans, chaque dimanche qui les précède, soit le 6 mai cette année, les étudiants de Cambridge se retrouvent sur les pelouses du parc Jesus Green au nord de la ville. Historiquement, le Caesarian Sunday ne faisait pas dans la dentelle puisqu’il s’agissait d’une gigantesque bagarre entre les drinking societies des différents collèges. Ces drinking societies sont peu ou prou l’équivalent des fraternités de campus américains, le chic et le mystère du terme « société » en plus. Les Green Monsters du collège de Girton s’opposaient ainsi aux Caesarians du collège de Jesus, qui ont donné son nom à l’événement.

Cela fait quatre ans que tout exercice de lutte est formellement interdit et l’événement s’est transformé en célébration du printemps – certes moins spirituelle que les chants du May Morning du collège de Magdalen à Oxford chaque 1er mai. Le Caesarian Sunday est aussi le dernier événement d’ampleur avant le très redouté trimestre des examens. Il est particulièrement populaire parmi les étudiants en licence qui s’apprêtent à jouer l’intégralité de leur année en une semaine d’évaluations, une source de stress considérable. Les drinking societies comme les Cobblers du collège de Trinity ou les Roundheads du collège de Sidney Sussex sont toujours de la partie et plusieurs organisent des séances d’initiation pour leurs membres. Ces sociétés ne sont généralement pas mixtes et propices à générer cette belle énergie virile et cette camaraderie alcoolique favorable aux excès les plus consternants. C’est ainsi qu’en 2016 un étudiant déguisé en mouton a pris feu. L’incident a été rapidement maîtrisé et un témoin l’a décrit : « Les gens l’arrosaient d’alcool pour essayer d’éteindre le feu. Je ne sais pas qui l’a enflammé, mais quelqu’un l’a fait. Il était plutôt énervé du coup »… On serait énervé par moins qu’une immolation effectivement.

Rien de plus révoltant qu’un jeudi soir de septembre sur les quais de Seine

Aucun trouble n’a eu lieu ce week-end et ce Caesarian Sunday ressemblait surtout à un festival sans musique avec des cannettes de bière, des barbecues portatifs et des déguisements multicolores témoins de la belle excentricité britannique. Parmi le millier de personnes rassemblées, il y avait d’ailleurs beaucoup de familles venues profiter du soleil. Loin du hooliganisme que laissait supposer l’e-mail de mon collège, de nombreux étudiants appliquaient consciencieusement de la crème solaire sur leurs épaules bien pâles. D’autres qui s’étaient risqués au torse nu – les hommes britanniques ayant cette tendance manifeste à retirer leurs vêtements dès que la température excède 15 degrés – viraient lentement au rose.

Evidemment les Britanniques ont une culture de l’ébriété bien assise, notamment du binge drinking – le fait de boire des quantités importantes très rapidement, la « biture express ». Les trottoirs londoniens en témoignent une fois la nuit tombée et le week-end venu. Ici on boit vite et on commence tôt. En sortant du travail, généralement vers dix-sept heures, on va directement au pub. Ce dimanche, les festivités du Caesarian Sunday ont commencé vers midi et on connaît les troubles habituels dans ce genre d’événements : du bruit, des jeunes malades et d’autres qui urinent en se croyant discrets. « Ça n’a rien de plus révoltant qu’un jeudi soir de septembre sur les quais de Seine vers Saint-Michel » résume mon amie Charlotte, étudiante à la Sorbonne. Stephen, un étudiant en licence de géographie, confirme, en m’expliquant : « Je suis certain que certaines personnes font des choses un peu folles, surtout les membres des drinking societies, mais pour la plupart d’entre nous c’est juste une journée pour se détendre et boire un peu. »

Ce qui fait le plus tache sous le printemps bucolique de Cambridge, c’est certainement les monticules de déchets laissés dans le parc. Lewis Herbert, élu à la mairie, suggère d’ailleurs que l’événement ait lieu sur les terrains de l’université ou de ses collèges pour qu’ils se chargent de l’encadrer et du nettoyage qui reste à la charge de la ville.

Les tabloïds anglais s’en donnent à cœur joie

Le plus amusant autour de cet événement, et le plus révélateur d’une certaine pudibonderie britannique, reste sa couverture médiatique. Chaque année, les tabloïds anglais s’en donnent à cœur joie. Cette presse bon marché très orientée vers les actualités sportives et people stigmatise joyeusement les étudiants de Cambridge. Elle rappelle leurs frasques – notamment l’épisode de l’étudiant déguisé en mouton quiet publie des photos compromettantes. « Les photographes de notre journal favoris se cachent dans les buissons avec impatience », rapporte l’un de ces médias, The Tab, au sujet de son concurrent le Daily Mail dont j’ai effectivement vu des photographes ce dimanche.

Le tabloïd en chef, The Sun – qui est le plus vendu –, a poussé l’investigation jusqu’à formuler des observations-chocs : « Quelques-uns des esprits les plus brillants du pays ont laissé des déchets partout sur la pelouse alors qu’ils continuaient de picoler. ». La vérité est que ces étudiants s’amusent, ne revendiquent pas d’incarner l’élite du Royaume-Uni – pour le moment en tout cas – et ce Caesarian Sunday n’a plus grand-chose de subversif. C’est une grand-messe étudiante un peu bébête et plutôt réjouissante. « Nous ne faisons que faire ce que les étudiants de toutes les autres universités font, c’est-à-dire boire au soleil », résume Stephen.

Il ne reste que certains médias qui adorent dénoncer l’« élite débauchée » ou supposément irresponsable. Les mêmes photographes feront la fermeture des bals de fin d’année en espérant trouver des taches sur les costumes des étudiantes ou des étudiantes titubantes ayant retiré leurs chaussures. Habituellement, les tabloïds reprochent plutôt à Cambridge son snobisme et son caractère inaccessible. Il faut bien adapter ses critiques aux circonstances.