« J’ai l’intuition qu’il se passe quelque chose partout, mais que je ne suis invitée nulle part. » En effet, dans la soirée de ce mercredi 9 mai, c’est la Welcome Party sur la plage du Majestic. Après, on peut faire un tour à la soirée de la Quinzaine, au niveau de la plage du Grand Hôtel. Enfin, devant, à l’entrée, quoi. Il y a aussi la projection de Black Panthers en plein air, au cinéma de la plage. Libre d’accès. « Oui, mais c’est sur le sable, je me suis pas sapée pour passer la soirée dans le sable. » Eléonore n’a pas de passe membre pour ce soir. Elle allume une cigarette. Elle s’est remise à fumer pour le Festival. « La cigarette sociale, pour maximiser mes chances. »

« Dès qu’ils voient des filles susceptibles d’avoir de l’argent mais qui sont personne, ils les prennent en photo, leur filent leur carte et espèrent qu’elles achèteront la photo d’elle en star, à 25 balles sur le site. » / CHARLOTTE HERZOG/« LE MONDE »

Thierry Frémaux a justifié l’interdiction du selfie – « photo à ego » – sur le tapis rouge, en précisant qu’à Cannes « on vient pour voir, pas pour se voir ». Certes. Mais, selon Franck, perché tout près, sur le petit rebord en face de la sacro-sainte entrée de la soirée, « ici en gros, il y a ceux qui peuvent être sur la Riviera, et ceux qui rêvent d’y être. Mais tout le monde est là pour se faire voir. Cannes, c’est ça, une comédie humaine. Des petits magouilleurs et des grosses michetonneuses. Le refuge des escrocs qui cherchent à prendre leur part de paillettes. Je ne leur en veux pas, moi aussi, je ne dirais pas non à quelques paillettes dans mes épinards comme on dit, mais bon, je les regarde faire, c’est une source d’inspiration sans fin quand je m’ennuie. Mais là, je ne m’ennuie pas, j’observe. »

« Bon, allez les losers, moi, je vais ailleurs »

Deux jeunes filles en robes interminables font leur apparition. Quelques photographes sortis de nulle part mitraillent sous tous les angles. « Tu sais ce qu’ils font là ? » Franck s’est levé, les bras croisés dans le dos, le menton en l’air : « Bah, c’est simple, ils leur font croire que c’est des stars. C’est des photographes pros, qui bossent à leur compte. Dès qu’ils voient des filles susceptibles d’avoir de l’argent mais qui sont personne, ils les prennent en photo, leur filent leur carte et espèrent qu’elles achèteront la photo d’elle en star, à 25 balles sur le site. Et hop ! C’est dur comme boulot, faut tout le temps faire fantasmer des gens alors que, toi, t’as compris depuis longtemps que c’était du vent. »

Eléonore s’écarte et dégaine son portable. « Il ne répond pas, je cherche un autre plan. » Elle rallume une cigarette et enchaîne : « Je suis dégoutée, ils m’ont refoulée, alors que je les ai bien tchatchés. Je commence à gerber Cannes. C’est bon ici y a que des Russes, et les Russes, elles sont quoi ? Elles sont froides. Je leur laisse la Croisette, moi, si elles veulent, de toute façon, la place to be” maintenant, c’est Miami. Bon, allez les losers, moi, je vais ailleurs. »

Leurs prétextes sont différents, mais tous se ressemblent un peu. Tous se rassemblent dans la queue. Ils et elles guettent en permanence. A cet instant, il semble nécessaire d’être vigilant sur la place que l’on occupe. Tout le temps. Franck me fait du coude-à-coude, il reprend son analyse : « Finalement, c’est peut-être eux, les futurs acteurs. Faudrait penser à faire des castings dans les files d’attente, tout le monde y trouverait peut-être son compte. »

« Franck, est-ce que je peux prendre une photo de vous ?

Non, je n’ai pas besoin de ta presse, moi. Même s’il me manque la cerise, le gâteau, je l’ai déjà. »