Une agence qui a failli peut-elle faillir à nouveau ? La question n’a cessé d’apparaître, mercredi 9 mai, au travers des questions des sénateurs démocrates à l’occasion de l’audition de Gina Haspel, nommée par Donald Trump à la direction de la CIA. Numéro deux de l’agence jusqu’au départ de Mike Pompeo pour le département d’Etat, Gina Haspel, 61 ans, qui a effectué la quasi-totalité de sa carrière dans le renseignement, dispose sur le papier d’une impressionnante carte de visite et serait la première à ce niveau de responsabilité.

Mais Gina Haspel est également associée à un épisode sombre de l’agence de renseignement américaine : le programme de prisons secrètes et de torture mis en place après les attentats du 11 septembre 2001. Elle a supervisé un centre de détention clandestin en Thaïlande, où des détenus ont subi des simulacres de noyade (« waterboarding »), dont les enregistrements ont été ensuite détruits en dépit d’ordres contraires de l’administration alors en fonction. Un passé qui est revenu hanter son audition par la commission du renseignement du Sénat, qui se prononcera prochainement sur une nomination. Gina Haspel aurait même envisagé quelques jours plus tôt de renoncer à prendre la tête de l’agence afin de la protéger, selon le Washington Post, qui n’a pas été démenti par la Maison Blanche.

Les sénateurs démocrates ont exprimé leurs réserves sur deux points. Ils ont regretté de devoir juger le parcours de Gina Haspel sur la seule base de documents déclassifiés par la CIA elle-même, soupçonnés donner d’elle une image très favorable. Le sénateur indépendant proche des démocrates Angus King (Maine) et la sénatrice Kamala Harris (Californie) ont déploré un conflit d’intérêts compte tenu des fonctions hiérarchiques actuelles de la responsable.

« Distinguer le bien et le mal »

Gina Haspel a également bataillé face aux élus lorsqu’elle a été interrogée à de multiples reprises, notamment par le sénateur du Nouveau-Mexique Martin Heinrich, sur la question de savoir si « la torture est compatible avec les valeurs américaines ». Tout en mettant en avant une « boussole morale » héritée d’un parcours typique, selon elle, d’une Américaine de la classe moyenne et d’une capacité « à distinguer le bien et le mal », l’ancienne responsable de la prison secrète en Thaïlande a répondu souvent de manière juridique, mettant en avant le fait que ces techniques d’interrogatoire étaient désormais proscrites.

Au début de son audition, elle a dit qu’une fois confirmée, elle ne renouerait pas avec le programme secret. Poussée dans ses retranchements, elle a fini par assurer qu’elle ne permettrait pas à la CIA « d’entreprendre une activité qu[’elle] jugeai[t] immorale, même si elle était techniquement légale », avant d’ajouter qu’elle refuserait d’obéir à un ordre en ce sens de Donald Trump, qui a déclaré par le passé que « la torture, ça marche ». Le numéro deux de la commission, le démocrate Mark Warner (Virginie) en a pris acte à la fin de l’audition, tout en regrettant que Gina Haspel ne se soit pas montrée « plus claire, plus directe ».

Soutenue par la communauté du renseignement, toutes administration confondues, Gina Haspel a bénéficié mercredi de l’appui unanime des élus républicains, qui ont déploré parfois les questions des démocrates. Le sénateur Tom Cotton (Arkansas), un proche de Donald Trump, dont le nom avait circulé comme directeur possible de la CIA, a dénoncé, comme John Cornyn (Texas), un « deux poids, deux mesures », arguant que John Brennan, pourtant haut placé au sein de l’agence à l’époque du programme secret, n’avait pas eu à subir ces questions en 2013 lorsqu’il avait été choisi par Barack Obama pour diriger la CIA.

L’étroite majorité d’une voix dont dispose le Parti républicain au Sénat, compte tenu de l’absence de John McCain (Arizona), qui lutte contre une tumeur au cerveau, et de l’opposition affichée de Rand Paul (Kentucky), complique la tâche de Gina Haspel. Son sort dépendra vraisemblablement, lors du vote en séance publique, des élus démocrates qui affrontent une réélection délicate dans des Etats remportés par Donald Trump en 2016, et qui ont tout intérêt à mettre en avant le souci de la sécurité nationale.