Jean-Luc Godard. / ILLUSTRATION DAMIEN CUYPERS POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Jean-Luc Godard est comme certains de nos copains d’école. On est content de les savoir encore fringants. Mais de là à aller les voir… C’est idiot, on en convient. Son dernier film, Le Livre d’image, sélectionné en compétition officielle du Festival de Cannes, est probablement brillant, très bien. Un peu ennuyeux sûrement, mais pas plus que d’autres du même auteur. Un journaliste ne devrait pas dire ça. Il devrait, au contraire, garder l’esprit ouvert, l’œil vif et accueillant à toutes les surprises. Après tout, le cinéaste franco-suisse livrera peut-être, à 87 ans, le chef-d’œuvre au côté duquel Le Mépris et Pierrot le fou passeront pour de la gnognotte. Qui sait si, cette fois, le jury, présidé par Cate Blanchett, ne lui attribuera pas la Palme, la vraie, rien que pour lui, et non pas, comme en 2014 pour Adieu au langage, un Prix du jury qu’il avait dû partager avec un gamin de soixante ans son cadet, le Canadien Xavier Dolan ?

Lorsque Thierry Frémaux lui a demandé s’il acceptait que « Le Livre d’image » soit projeté en compétition, Godard a répondu : « C’est comme vous voulez. » Autant dire qu’il s’en tape.

Quand avons-nous cessé de fréquenter Jean-Luc Godard ? En 1980, avec Sauve qui peut (la vie) ? En 1985, avec Détective ? Dans ces eaux-là, en tout cas. Après, on a eu l’impression d’être de trop. Nos avis, notre tiédeur, souvent, ou notre admiration, parfois, ne lui faisaient ni chaud ni froid. Son désir de filmer ne dépendait d’aucun regard, et surtout pas du nôtre. Lorsque Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, lui a demandé s’il acceptait que Le Livre d’image soit projeté en compétition, Godard a répondu : « C’est comme vous voulez. » Un peu comme Bartleby, dans la nouvelle d’Herman Melville, décourage ces interlocuteurs d’un « J’aimerais mieux pas… » Autant dire qu’il s’en tape.

D’ailleurs, il n’est pas du tout certain qu’il quitte Rolle, sur la rive suisse du lac Léman, où il réside, pour offrir sa bouille ébouriffée aux photographes. En 2014, il n’avait pas même daigné se montrer dans le département des Alpes-Maritimes. Peu après, dans Le Monde, il avait raconté : « On ne peut pas voyager avec lui. Il a son monde. On ne va pas le déplacer. » En fait, il parlait de son chien, Roxy.

Comme vaporisé sur la Côte d’Azur

Mais est-ce bien un cinéaste vivant, de chair et de pellicule, qui est sélectionné à Cannes, pour la neuvième fois en près de soixante ans de carrière ? Ou le fantôme d’une décennie aussi brève que prodigieuse, s’ouvrant avec À bout de souffle (1960) et se refermant avec Week-end (1967) ? Ou une icône des sixties avec accessoires millésimés – Boyard papier maïs, lunettes fumées et cravate-ficelle ? Ou un révolutionnaire encore incompris ? Ou « l’intello cradingue et gauchisant » qui dégoûtait Brigitte Bardot ? Godard sera partout, comme vaporisé sur la Côte d’Azur, au présent comme au passé. Enfin, surtout au passé. Une image extraite de Pierrot le fou (1965) illustre l’affiche de la 71e édition du Festival. Jean-Paul Belmondo embrasse Anna Karina pour toujours.

On célébrera évidemment le 50e  anniversaire de l’édition de 1968, qu’avec d’autres réalisateurs il parvint à interrompre. « Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers, et vous me parlez travellings et gros plans. Vous êtes des cons ! », y avait lâché l’artiste, métallique et méprisant, à ses contradicteurs. Godard parlait comme dans les films de Godard. Certains en on déduit qu’il faisait du cinéma. D’autres qu’il était sincère. Et tous ont eu raison.