Alain Robin, retraité, arpente la Croisette sur sa voiturette de Madame Doubtfire. Il raconte à #RaideCarpette sa vie de sosie.

« Quand on te dit que tu ressembles à quelqu’un, tu peux péter les plombs. Tellement investi dans le personnage, que tes amis te disent : Eh oh Alain, réveille-toi, tu n’es pas lui. Je fais le sosie de Robin Williams depuis vingt-deux ans. Avant, j’étais cuistot. Quand j’ai approché la quarantaine, à force qu’on me dise que je lui ressemblais, j’ai fini par le croire. Quand j’ai vu le film Madame Doubtfire, j’ai quitté la cuisine, je me suis acheté sa perruque, et j’ai pris des cours de théâtre. Ce n’est pas tout de ressembler à quelqu’un, il faut en faire quelque chose.

Quand j’ai rencontré Robin Williams à Deauville, il m’a dit : J’adore la France et j’adore que vous soyez français. A part un autre homme qui vit aux Etats-Unis, je suis son seul sosie au monde. En France, j’ai pour amis Whoopie Goldberg, Julia Roberts, Sean Connery... Enfin, leurs sosies. Mais pour eux c’est différent. Souvent, ils posent pour des photos, et après, plus rien ne se passe. Ce qui me fait survivre, moi, c’est d’être Madame Doubtfire. Quand Robin Williams est mort en 2014, j’étais dans mon camping-car, je n’y ai pas cru. Le lendemain, je suis allé dans la rue, en Madame Doubtfire. Et c’est là que l’émotion est apparue. J’ai eu un succès monstre. Presque paralysé. Hypnotisé par un au-delà. Qui n’en était pas un, je le sais bien.

Sur la Croisette, Alain Robin joue le sosie de Madame Doubtfire. / Charlotte Herzog / Le Monde

 « Après avoir enlevé mon maquillage, je suis seul »

Je ne vis nulle part. Dans mon camping-car. Partout. Comme ça je peux déambuler. J’utilise le plaisir des vacances et quand j’ai besoin de remplir mon Caddie, je vais faire Madame Doubtfire. Je suis retraité, et à la retraite, on arrive au moment du calcul. Avec mon passé d’intermittent du spectacle, on m’a dit que je toucherai 1 300 euros par mois. Alors sur la petite voiturette sur laquelle déambule Madame Doubtfire, j’ai accroché une casserole. Les gens peuvent mettre ce qu’ils veulent dedans. Mes vitamines sont les applaudissements. Je déambule, je donne ma documentation, mes flyers. Avec mon nom, des photos, mes coordonnées.

Mais même en étant connu ici, je me fais recaler des soirées. Je n’ai pas d’invitation, j’ai parfois  l’autorisation des responsables. Sauf que la sécurité me fait barrage. Parce qu’en dessous de Madame Doubtfire, il y a un homme. Ça les dérange ce drôle de mélange. J’ai quand même fait une montée des marches en 2014, c’est sur YouTube d’ailleurs. Je m’étais posté devant l’entrée pour demander une invitation, que j’ai obtenue en dix minutes. Sur le tapis, j’ai volé la vedette aux femmes qui le foulaient en même temps que moi. J’étais heureux. Mais attention, pas d’erreur, je me parlais à moi-même : attention Alain, tu n’es plus toi-même. Tu es cette femme. Et tout le monde t’observe.

Quand on me demande un autographe, je ne signe jamais Robin Williams. Je ne suis pas lui. Je signe Madame Doubtfire. Mais je me sens caché dans l’ombre. J’aimerais pouvoir être moi. Ce n’est pas facile d’être soi-même, surtout quand tu choisis d’être sosie. Tu es l’autre. Pas toi. Jamais. Quand je quitte le personnage de Madame Doubtfire, que je me retrouve dans mon camping-car, je ne comprends pas. Sur le coup, les gens m’ont dit bravo! , ils m’ont applaudi, photographié, apprécié, aimé. Moi je leur ai donné mon nom, mes coordonnées et je leur ai dit : si vous voulez me connaître, appelez-moi. Mais personne ne m’appelle. Je suis comme le clown après les applaudissements. Après avoir enlevé mon maquillage, je suis seul. Ça me rend triste. C’est ça le j’aurais voulu être un artiste. »

Lire la chronique précédente : « On bouge ? C’est pourri ici ! »