Les marchés d’actions ne voient pas d’un bon œil la détérioration des marchés obligataires. / Richard Drew / AP

Le taux des emprunts d’Etat américains à dix ans a pour la première fois depuis 2015 franchi la barre des 3 % au mois d’avril, et demeure aujourd’hui proche de ce niveau. Cette tension sur les taux d’intérêt a durement affecté le marché d’actions américain. Ceci explique d’ailleurs largement que les marchés d’actions européens parviennent enfin à lui damer le pion (+1 % pour l’indice Eurostoxx depuis le début de l’année, contre -3 % pour l’indice Dow Jones), car le rendement des emprunts d’Etat allemand, bien que s’étant tendu sensiblement, jusqu’à 0,80 %, en février, s’est lui un peu détendu depuis. Pour bien comprendre cette sensibilité des actions aux taux d’intérêt, il faut se poser la question des causes de cette hausse des taux.

Une embellie soudaine de la croissance économique de part et d’autre de l’Atlantique peut-elle expliquer ce mouvement ? Non pas du tout. Au contraire, les indicateurs économiques ont partout donné des raisons d’inquiétude au premier trimestre, après deux années de bonnes surprises. A l’instar de la France, l’Europe comme les Etats-Unis ont affiché des rythmes de croissance en dessous des attentes des économistes. Les chiffres demeurent à un bon niveau, mais leur dynamique ralentit. On comprend donc que les marchés d’actions ne voient pas d’un bon œil cette détérioration des marchés obligataires, qui n’est nullement le sain reflet d’une amélioration macro-économique. Mais alors quelle est la cause de cette détérioration ? Une résurgence d’inflation serait-elle la responsable ?

Pas de résurgence inflationniste

Il y a là peut-être un début de piste pour les Etats-Unis. Le rythme d’inflation annuel y a atteint en effet 2,4 % en avril, et pourrait poursuivre sa progression si le prix du baril poursuit la sienne. De plus, le très faible niveau du chômage fait craindre à certains que le début de pressions salariales alimente une résurgence inflationniste. Difficile néanmoins de percevoir une menace à moyen terme, tant les tendances longues de la démographie, de l’endettement, de « l’amazonification » de l’économie demeurent lourdes de pressions déflationnistes. La Fed confirmait d’ailleurs encore très récemment qu’elle ne se laisserait pas impressionner par une hausse passagère des prix. En zone Euro, en revanche, pas d’ambiguïté : le rythme d’inflation ne prend toujours pas le chemin de la cible de 2 % fixée par la Banque centrale européenne. Son niveau estimé à 1.2 % en rythme annuel pour le mois d’avril a confirmé son anémie persistante.

Alors si ce n’est ni la croissance économique ni l’inflation, qu’est-ce qui explique la hausse des taux d’intérêts américains, qui contamine partiellement les taux européens et effraie les marchés d’actions ? Tout simplement une perturbation dans l’équilibre entre offre et demande d’emprunts d’Etat.

Car en effet un télescopage est en train de se produire entre les émissions croissantes d’emprunts par le Trésor américain, nécessaires au financement du déficit budgétaire du gouvernement, et une banque centrale qui n’est plus acheteuse de ces emprunts, comme elle le fut de 2009 à 2014, mais est devenue au contraire elle-même vendeuse. « Les liquidités surabondantes », la grande affaire des dix dernières années pour les investisseurs, sont sur le point d’être épongées de tous côtés.

Besoin de refinancement de la dette

Un autre facteur qui pour être technique n’en est pas moins décisif s’ajoute à ce retournement : la hausse qu’ont connu les taux d’intérêt à court terme américains, tirés par de lourds besoins de refinancement de la dette existante. Cette pression les a amenés à des niveaux très supérieurs aux taux européens ou Japonais. Elle a de ce fait rendu la couverture du risque de change très onéreuse pour tout investisseur étranger considérant l’acquisition d’actifs financiers américains.

La conséquence de ce phénomène est que les acheteurs traditionnels qu’ont été historiquement les banques centrales étrangères (dont celles de la Chine et du Japon), et les investisseurs institutionnels de tous horizons montrent aujourd’hui peu d’appétit pour la dette américaine… sauf à prendre un fort risque de change, ce qu’ils ne souhaitent pas. Ou à ce qu’elle leur soit proposée à des rendements sensiblement plus élevés.

Ainsi, la hausse des taux d’intérêt des emprunts d’Etat américains s’explique par la loi d’airain de l’offre et de la demande. Elle risque donc de pénaliser doublement les marchés d’actions : d’abord parce qu’elle pourrait se poursuivre en dépit d’une décélération de la croissance économique. Ensuite parce que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les investisseurs qui avaient été des années durant, poussés par la baisse des taux à se porter acheteurs d’actions et d’obligations privées, pourraient être tentés de prendre le chemin inverse.