Nikol Pachinian , lors d’un meeting à Erevan, le 8 mai 2018. / STRINGER / REUTERS

Editorial du « Monde ». Après trois semaines d’une « révolution de velours », l’élection, le 8 mai, de Nikol Pachinian au poste de premier ministre d’Arménie a ouvert une nouvelle page dans l’histoire de cette petite république du Caucase du Sud, indépendante depuis la chute de l’URSS, en 1991. Fer de lance de la contestation contre la corruption et la sclérose d’un régime oligarchique replié sur lui-même, le jeune premier ministre veut rompre avec près d’une trentaine d’années de pratiques postsoviétiques et faire entrer les quelque 3 millions d’Arméniens dans le XXIe siècle.

Le mouvement qu’il a déclenché en sillonnant le pays a surpris tout le monde. Durant les trois semaines de mobilisation, aucun débordement n’a été signalé, aucun acte de vandalisme ni d’incivilité n’a émaillé les meetings de la contestation populaire. Cette mobilisation est d’autant plus étonnante qu’elle est dépourvue de tout agenda géopolitique. Les citoyens arméniens sont descendus dans la rue pour des motifs intérieurs, en rupture avec les « révolutions de couleur » de Géorgie ou d’Ukraine soutenues par les Occidentaux et hostiles à la Russie. Il y a peut-être là de quoi inspirer d’autres sociétés civiles en Europe centrale et orientale, soucieuses de retrouver liberté et dignité contre des régimes autoritaires.

Prématuré de parler d’ores et déjà de « modèle arménien »

La mutation qui vient de s’opérer en Arménie mérite donc d’être saluée. Elle redonne confiance à une vieille nation marquée par l’Histoire et inspire une jeune génération déterminée à sortir son pays de la misère – près de 30 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. Il serait cependant prématuré de parler d’ores et déjà de « modèle arménien » de la révolution à l’Est.

Car cette « nouvelle Arménie » doit transformer l’essai du changement démocratique et relever trois défis. Le premier, institutionnel, consiste à parachever la transformation du système politique. Or, Nikol Pachinian et les héritiers de l’ancien régime n’ont pas le même agenda. Le premier ne dispose que d’une majorité de circonstance au Parlement et veut convoquer le plus vite possible des élections anticipées pour consolider son pouvoir. Les seconds veulent prendre leur temps afin d’éviter une dissolution de l’Assemblée nationale qui leur serait probablement fatale.

Le deuxième défi est stratégique. Certes, le nouveau chef de gouvernement a rappelé que l’Arménie restera fidèle à tous ses engagements internationaux. Il a assuré, en particulier, qu’il respecterait son alliance avec la Russie, au sein de la Communauté des Etats indépendants et de l’Organisation du traité de sécurité collective créées par Moscou, respectivement en 1991 et 2002. Mais, au risque de contrarier un Vladimir Poutine jusqu’à présent vigilant mais prudent, M. Pachinian a déjà fait savoir que sa politique étrangère serait « proactive » et axée exclusivement sur des priorités nationales.

Le troisième défi est militaire : la paix avec l’Azerbaïdjan. En conflit avec Bakou à propos du Haut-Karabakh, cette province majoritairement arménienne rattachée par Staline à l’Azerbaïdjan en 1921, l’Arménie parviendra-t-elle, dans le cadre du Groupe de Minsk (dont la France est coprésidente avec la Russie et les Etats-Unis), à débloquer les négociations de paix, alors que la situation reste tendue sur le terrain ? La marge de manœuvre de la « nouvelle Arménie » est étroite, mais elle peut désormais s’appuyer sur une dynamique démocratique. C’est une réelle chance pour la paix.