L’artiste danois Per Kirkeby est mort le 9 mai à Copenhague, à 79 ans. Affaibli à la suite d’un accident vasculaire survenu en 2013, il avait, depuis deux ans, cessé de travailler. L’ultime exposition de son vivant a déployé l’hiver dernier, sous la verrière du Palais des Etudes des Beaux-Arts de Paris, l’ensemble rétrospectif de ses architectures de briques.

Né le 1er septembre 1938 à Copenhague, Kirkeby ne s’engage pas d’abord dans des études artistiques. A partir de 1957, il s’initie aux sciences naturelles à l’université de sa ville natale et participe, en qualité d’élève géologue, à une mission scientifique au Groenland dès l’année suivante, expérience de terrain suivie de plusieurs autres de même type. On ne les mentionnerait pas si lui-même ne s’y référait dans ses propos et écrits. Ce n’est qu’en 1962 qu’il rejoint l’Ecole d’Art Expérimental de Copenhague, et s’initie à la peinture et la gravure, mais aussi la performance et le film 8 mm. Cette diversité des intérêts et des pratiques s’est développée ultérieurement. Ses premières sculptures – si tant est que ce mot soit le meilleur pour qualifier ces structures murales – apparaissent en 1973. Auparavant, il a publié un premier ouvrage de poèmes, Copyright, en 1966, un premier roman, 2,15 en 1967 et un premier ensemble d’essais critiques en 1968. Entretemps aussi, il a participé à des performances avec plusieurs des protagonistes de cet art alors en formation : en 1966 avec Joseph Beuys et Henning Christiansen et, en 1967, à New-York, avec Charlotte Moorman et Nam June Paik.

Un romantique contemporain

A ses débuts, sa peinture porte les marques des tendances contemporaines – le pop art étant le plus visible – mais celles-ci sont déjà en partie absorbées par des surfaces intensément colorées, obtenues par des mouvements amples. Les mentions descriptives résistent quelque temps, silhouettes découpées et bribes d’images du quotidien, mais, quand l’artiste intitule en 1965 A romantic picture un polyptique en cinq panneaux, s’il entre de l’ironie dans ce titre, il n’en indique pas moins que Kirkeby soupçonne qu’il pourrait, en effet, passer pour un romantique contemporain. Face à la plupart de ses toiles et de ses peintures ou dessins à l’huile et à la craie sur tableau noir, il est difficile de ne pas aller dans ce sens et de ne pas entrevoir des éléments de la nature, tantôt de très près, tantôt à distance.

Ce paysagisme est quasi abstrait, mais l’eau, le vent, le minéral et le végétal y sont souvent suggérés – ondes, flux, blocs, lignes. La peinture y est alternativement en mouvement, entraînée par de longues touches fluides, et arrêtée, masses statiques auxquelles le regard se heurte. Le chromatisme d’ocres, verts et gris rehaussés de rouges sombres et de jaunes accentue ces sensations de plein air, de grand jour, de bord de rivière ou de sous-bois. Des années 1980 à ses dernières peintures du début de cette décennie, Kirkeby développe de vastes suites de variations, que l’on serait d’autant plus tenté de rapprocher de la création sérielle de Monet que Kirkeby tisse les couleurs d’une façon qui fait songer aux Nymphéas.

L’artiste danois Per Kirkeby, en 2002, dans son atelier à Copenhague. / JAN JOERGENSEN/AFP

Peinture mouvante et panthéiste

Ce n’est pas de l’impressionnisme cependant qu’il est alors rapproché, mais de l’expressionnisme venu de Munch, du groupe Die Brücke et de COBRA et que renouvelle dès les années 1960 son contemporain Georg Baselitz. Ces proximités le font classer, trop schématiquement, du côté d’un art nordique par nature ; mais elles l’entraînent aussi dans le processus de reconnaissance qui lui vaut des expositions dans des galeries de premier plan, telle celle de Michael Werner à partir en 1974, la Biennale de Venise en 1976, sa désignation comme professeur aux Beaux-Arts de Karlsruhe en 1978, et la participation à des manifestations internationales qui ont fait date, A new spirit in painting à Londres en 1981, Zeitgeist à Berlin en 1982 et, la même année, la Documenta 7 à Kassel. Suivent logiquement des expositions personnelles au Van Abbe Museum d’Eindhoven, la Kunsthalle de Berne, la Whitechapel Art Gallery de Londres, Londres, le Ludwig Museum à Cologne et au Musée des Beaux-Arts de Nantes en 1995. Autant d’hymnes à sa peinture mouvante et panthéiste. Mais, dans la plupart, l’artiste introduit en contrepoint ses austères structures de brique, dont il affirme qu’elles lui ont été suggérées par des souvenirs d’enfance à Copenhague et Elseneur, au temps de l’occupation du Danemark par le III° Reich. Il en a donné aussi des versions de dimension plus réduite, en bronze, qui évoquent une poétique des ruines tout aussi romantique.

En 2004, l’artiste a fait don de l’ensemble de ses archives au Kunstmuseum d’Aarhus (ARoS) : un ensemble de plus 1500 esquisses, sculpture collages, carnets, livres, projets scénographiques, lettres et photographies. C’est là qu’iront ceux qui entreprendront l’étude de ce grand artiste.

Per Kirkeby en quelques dates

1938 : Naissance à Copenhague

1962 : Abandonne la géologie pour les arts

1974 : Première exposition chez Michael Werner

1982 : Participe à la Documenta de Kassel et à Zeitgeist à Berlin

2018 : Meurt à Copenhague