Rafael Nadal reste sur une série de 50 sets gagnants pour 21 matchs disputés sur terre battue depuis Roland-Garros 2017. Un record de plus pour celui devenu la saison passée le joueur le plus titré sur la surface (55 à ce jour). / ALBERT GEA / REUTERS

Depuis la Zambie où il séjournait il y a encore quelques jours, alternant entre safari et missions auprès des enfants dans le cadre de sa fondation, Roger Federer devait se féliciter d’avoir eu le nez creux. Comme en 2017, le Suisse a fait l’impasse sur la saison sur terre battue et, comme en 2017, Rafael Nadal, en quarts de finale à Madrid vendredi 11 mai face à l’Autrichien Dominic Thiem, est jusque-là sans pitié pour la concurrence.

Federer fit un choix cartésien : ses efforts d’adaptation à cette surface sont inversement proportionnels à ceux de l’Espagnol. Et le retour sur investissement n’est pas garanti, même quand ce dernier est en manque de repères. Au vu de son début d’année contrarié – il a dû observer une pause de deux mois et demi pour soigner sa blessure à la cuisse droite (psoas iliaque) qui l’avait contraint à l’abandon en quarts de finale de l’Open d’Australie en janvier –, d’aucuns pensaient que le Suisse avait une carte à jouer.

Sa décision a surpris jusqu’à son rival majorquin, comme il l’expliquait, le sourire en coin, en marge du Masters 1000 de Monte-Carlo, mi-avril : « Roger a fait savoir qu’il adorerait rejouer contre moi sur terre battue dans un match au meilleur des cinq manches. Je pensais donc qu’il allait disputer Roland-Garros. Et quelques jours après, il décide de ne pas jouer sur terre battue. C’est peut-être un peu contradictoire… »

Un revers plus percutant

Sur le Rocher, le numéro un mondial a conquis le titre pour la onzième fois, une « undécima » qu’il a réitérée une semaine plus tard à Barcelone. Jamais dans l’histoire un joueur n’avait remporté un tournoi à onze reprises. Voilà qui le place à la hauteur de Margaret Court (Open d’Australie) et Martina Navratilova (Eastbourne). « C’est une très bonne nouvelle pour moi qui reviens de blessure. Je savoure car je sais que la fin de carrière est plus proche que le début », a commenté Nadal, qui fêtera ses 32 ans, le 3 juin.

A quinze jours du coup d’envoi de Roland-Garros (du 27 mai au 10 juin), le signal envoyé à ses rivaux est assommant, sinon démoralisant. Plus personne n’a été capable de battre l’Espagnol sur terre depuis bientôt un an. Sa dernière défaite remonte au 19 mai 2017 face à Thiem, en quarts de finale à Rome, lessivé par un enchaînement victorieux à Monte-Carlo, Barcelone et Madrid. Depuis, l’Autrichien, 24 ans, a été renvoyé deux fois à ses chères études, à Roland-Garros et à Monte-Carlo, puni par deux fois par une mortifiante « roue de bicyclette ».

Alexander Zverev, Grigor Dimitrov, Karen Khachanov… la nouvelle génération subit sa loi depuis sa reprise en Coupe Davis, début avril, face à l’Allemagne. « Jouer Rafa sur terre, c’est comme recevoir un cours gratuit », ironisait le rookie Stefanos Tsitsipas, battu en finale à Barcelone. David Goffin et Kei Nishikori, qui l’avaient par le passé inquiété, ont été cette saison de simples spectateurs.

Même quand il est loin de son meilleur niveau, sa marge est telle qu’à chaque fois, le scénario semble inexorable : l’adversaire est « balayé », « étouffé », « écrasé » ou « concassé », selon la nomenclature journalistique qui lui est accolée. L’affront ne dépasse jamais les deux heures. Et aucun n’a réussi à lui faire jouer un jeu décisif cette saison.

Patrick Mouratoglou observe qu’« il tourne moins autour du coup droit car il se fie plus à son revers ». « D’habitude, au début de la saison sur terre, il a besoin de confiance donc il s’appuie plus sur ses qualités défensives. Là, il est agressif d’entrée », complète l’entraîneur de Serena Williams. En remportant un 50e set consécutif sur sa surface fétiche en 21 matchs, jeudi à Madrid, Nadal a fait tomber un record vieux de trente-quatre ans, détenu par John McEnroe.

Sans rival à Roland-Garros ?

S’il évolue à 100 % de ses moyens physiques, on ne voit pas bien qui sera en mesure de menacer le décuple vainqueur du Grand Chelem parisien. « Il a encore moins de rivaux que d’habitude, déjà qu’il n’en a pas énormément... Je n’arrive même pas à sortir un nom », résume Patrick Mouratoglou. Stan Wawrinka, en délicatesse avec son genou, devrait faire son retour à Rome (du 13 au 20 mai), la convalescence d’Andy Murray, opéré en janvier de la hanche, s’éternise et Novak Djokovic traîne encore sa blessure au coude ou son spleen, on ne sait plus trop. Si le Serbe parvient à retrouver son tennis, il a les armes pour le faire choir, lui qui l’a déjà battu sept fois sur cette surface.

« La façon dont il joue, sa stratégie de match, tout chez lui est très propre, analysait Dimitrov en marge de Madrid. Vous avez beau savoir la façon dont vos coups reviendront, il n’y a pas grand-chose à faire. Face à lui, nous n’avons d’autre choix que d’être à 100 % et tenter d’exploiter ses sautes de concentration car il en a, tout Rafa qu’il est. Mais s’y atteler en bataillant plusieurs heures, c’est un autre problème… »

L’intéressé, lui, assure ne pas se prendre la tête « avec [son] statut de favori. Vous devez toujours avoir à l’esprit que vous pouvez perdre. (…) Le jour où je ne serai plus inquiet à propos de ma forme ou de mon tennis, ce jour sera celui où je ne gagnerai plus ». Et où ses adversaires commenceront à exister sur terre.