Vodafone a annoncé mercredi 9 mai le rachat d’une partie des actifs européens de Liberty Global pour 18,4 milliards d’euros (image d’illustration). / DADO RUVIC / REUTERS

Maintes fois annoncée, la consolidation des télécoms en Europe est-elle en train de voir le jour ? Ce marché très fragmenté vient de prendre un important virage. Mercredi 9 mai, Vodafone a annoncé le rachat d’une partie des actifs européens de Liberty Global pour 18,4 milliards d’euros, dont 7,6 milliards en dette et 10,8 milliards en cash. L’opérateur mobile britannique va reprendre les réseaux câblés du groupe du magnat américain John Malone en Allemagne, en République tchèque, en Hongrie et en Roumanie. Les deux acteurs discutaient d’un éventuel rapprochement depuis plusieurs années, mais, jusque-là, ils n’avaient pas réussi à s’entendre sur les modalités.

Première conséquence, Vodafone va secouer le paysage allemand des télécoms. Grâce à la filiale de Liberty Global, Unitymedia, et ses 13 millions de foyers clients, le britannique, qui disposait déjà d’une petite activité dans le fixe avec Kabel Deutschland, se renforce considérablement face à Deutsche Telekom. L’opérateur historique allemand n’a pas dit son dernier mot, et espère voir agir les autorités de la concurrence. En février, son patron, Timotheus Höttges, les avait déjà appelés à bloquer l’opération, arguant qu’elle nuirait à la démocratie.

Mercredi, il a enfoncé le clou en affirmant que l’alliance « porterait atteinte à la concurrence ». Difficile de dire comment réagiront les régulateurs allemands et européens. L’Union européenne avait bloqué la fusion de Three (Hutchison) et O2 au Royaume Uni en 2016, mais rien ne dit qu’elle fera de même en Allemagne. « En Allemagne, Vodafone remonopolise le câble, alors qu’il avait été coupé dans le passé en plusieurs morceaux », rappelle toutefois Dexter Thillien, analyste chez BMI Research.

« 2018 pourrait être une année record »

En attendant, ce rachat permet à Vodafone, un opérateur qui ne jurait à ses débuts que par la téléphonie mobile, de se renforcer dans le fixe. « Vodafone a vu avec Ziggo, la joint-venture montée avec Liberty Global aux Pays-Bas, qu’avoir du fixe était intéressant », explique Tariq Ashraf, consultant chez Bearing Point. Depuis, Vodafone a acquis Ono en Espagne et Kabel Deutschland en Allemagne en 2014.

Revers de la médaille de cette opération, sa dette va s’accroître considérablement. « Le ratio d’endettement passe de deux fois l’ebidta [excédent brut d’exploitation] à trois fois », explique Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James, réservé sur cette opération. « C’est plutôt risqué dans la mesure où l’on arrive à un moment où s’ouvrent plusieurs processus d’enchères de fréquences mobiles en Europe », dit-il. Vodafone aura-t-il les moyens d’y participer sans trop dégrader sa situation financière ?

Après ce mouvement, la consolidation va-t-elle se poursuivre ? Si l’accord entre Liberty Global et Vodafone n’est pas de nature à en entraîner mécaniquement d’autres, les opérations se sont multipliées ces derniers mois. Ainsi, « 2018 pourrait être une année record », prédit Stéphane Beyazian. En Suède, l’opérateur mobile Tele2 a racheté le câblo-opérateur Com Hem en début d’année. Fin 2017, Deutsche Telekom avait repris l’opérateur de câble UPC en Autriche et fusionné sa filiale T-Mobile avec Tele2 aux Pays-Bas, où il souhaitait ainsi attaquer le « duopole local ». Mouvement plus massif, le rachat, annoncé fin avril, par sa filiale américaine, de son concurrent Sprint pour 26 milliards de dollars (21,8 milliards d’euros). A l’issue de l’opération, Deutsche Telekom conservera le contrôle de l’entité fusionnée. L’an passé, il a évoqué, selon nos informations, un rapprochement avec Orange.

Les regards se tournent vers Comcast

En Europe, tous les regards sont maintenant tournés vers Comcast, qui tente d’acheter le premier bouquet satellite européen, Sky, à Rupert Murdoch. L’opération valorisée 22 milliards de livres (25 milliards d’euros) couperait l’herbe sous le pied de Disney. Or, si Sky, présent au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie, est à l’origine un acteur de la télévision payante, il s’est diversifié dans l’Internet fixe et la téléphonie mobile. « Comcast a déjà dit qu’il allait pousser la stratégie déployée au Royaume-Uni et lancer de la fibre en Italie », explique M. Beyazian.

L’américain pourrait contribuer à secouer un peu plus le marché italien, qui devrait aussi évoluer. De l’autre côté des Alpes, Vivendi, au terme d’une lutte contre le « hedge fund » Elliott, a perdu la majorité du conseil d’administration de Telecom Italia, malgré une participation de 23,9 % au capital. Nombreux sont ceux qui prédisent une sortie prochaine de Vivendi du capital. « Je ne les vois pas rester à long terme. On voit bien que la joint-venture avec Canal+ n’a pas abouti et que le projet industriel est remis en cause », dit Thomas Coudry, analyste chez Bryan Garnier.

En France, on attend toujours un passage de quatre à trois opérateurs. Selon Bloomberg, Bouygues a eu des discussions préliminaires avec le fonds CVC afin d’étudier un rachat de SFR. Si le groupe de BTP a expliqué n’avoir aucune « discussion avec un autre opérateur », ces échanges ont bien eu lieu, selon nos informations.

Enfin, le même Vodafone pourrait poursuivre les festivités et racheter le reste des activités de Liberty Global en Europe, au Royaume-Uni, en Suisse et en Belgique. Pour le moment, les deux groupes affirment que les autres actifs ne sont pas à l’ordre du jour, mais tous deux avaient déjà expliqué vouloir créer un géant européen capable de se mesurer aux anciens monopoles locaux.