Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt, les réalisateurs de « Diamantino », et l’actrice Cleo Tavares, sur la plage Nespresso, à Cannes, le 11 mai 2018. / STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Semaine de la critique

Un ovni a survolé la Croisette vendredi 11 mai, venu tout droit du Portugal avec de drôles de passagers à bord : une star de football déchue et candide, Diamantino, interprétée par Carloto Cotta, le héros de Tabou (2012) et des Mille et Une Nuits (2015), de Miguel Gomes ; deux sœurs maléfiques qui instrumentalisent leur frère afin de promouvoir l’extrême droite et la sortie du Portugal de l’Europe (Sonia et Natasha Matamouros) ; une jeune policière noire, Aïcha (Cleo Tavares), qui se fait passer pour un garçon réfugié et mène l’enquête. En regardant Diamantino, film inclassable sélectionné à la Semaine de la critique, coproduit par la France, le Portugal et le Brésil, le public ne savait pas toujours s’il fallait rire ou s’inquiéter. Est-ce un polar, de la science-fiction, un film romantique, un conte politique ?

L’univers de Gabriel Abrantes et de Daniel Schmidt est riche, foisonnant, éclectique

Sur le plan esthétique, le grain de la pellicule seize millimètres côtoie le cinémascope, les effets numériques, la caméra drone… Entre avant-garde et culture populaire, ce film multiforme affiche une forte ambition : toucher le plus grand nombre tout en étant radical et inventif. Nous avons rencontré les deux jeunes réalisateurs (nés en 1984) après la projection, dans le petit jardin d’une résidence cannoise où Daniel Schmidt, d’une blondeur pâle, faisait sécher son vernis à ongles. « Nous pensons que la comédie est le meilleur outil pour parler de la crise contemporaine », disent-ils d’une même voix.

L’univers de Gabriel Abrantes et de Daniel Schmidt est riche, foisonnant, éclectique, nourri de pop culture, de comédies hollywoodiennes, d’essais philosophiques ou de tragédies grecques. Les deux se connaissent depuis 2006 et viennent d’horizons différents. Gabriel Abrantes a étudié dans une école des beaux-arts à New York « marquée à gauche et gratuite », la Cooper Union for the Advancement of Science and Art. Daniel Schmidt, lui, était inscrit dans une école de cinéma new-yorkaise chic et coûteuse qui l’a fort dérouté, où les jeunes gens apprenaient surtout à appliquer les recettes des aînés… Leurs deux mondes se sont complétés et le tandem n’a pas tardé à cosigner des films.

Prouesse sportive

Le personnage de Diamantino est un mythe, même s’il renvoie explicitement à l’icône Cristiano Ronaldo, footballeur star avec lequel le héros du film entretient une forte ressemblance physique. Les deux cinéastes saluent la performance de l’acteur portugais Carloto Cotta. Pour Abrantes et Schmidt, la prouesse sportive peut être un geste esthétique. Et de citer le jeu du tennisman suisse Roger Federer, et son analyse littéraire par l’écrivain américain David Foster Wallace (1962-2008).

Les réalisateurs aiment les fausses pistes. Au premier abord, Diamantino apparaît limité intellectuellement. Il écarquille les yeux le jour où il aperçoit, depuis son yacht, une frêle embarcation remplie de jeunes Africains. « C’est quoi des réfugiés ? », demande-t-il à son père, interprété par Chico Chapas, un acteur non professionnel révélé dans la trilogie des Mille et Une Nuits, de Gomes. Abrantes et Schmidt préfèrent le qualifier de « naïf » : « Diamantino peut être ignorant des faits, mais il n’est pas bête. Nous avons voulu créer un personnage tellement ouvert, tellement simple qu’il arrive à réagir aux crises contemporaines d’une manière nouvelle », souligne Daniel Schmidt.

« Diamantino » est une histoire d’amour au sein d’un couple fort peu conventionnel

Accablé par son but manqué lors d’un match décisif, le joueur se retrouve sur le plateau d’une émission animée par une vedette, où il est sommé de répondre aux questions par « oui » ou « non » – une parodie de l’interview d’Oprah Winfrey avec Lance Armstrong, en janvier 2013, où celui-ci avait reconnu s’être dopé. La présentatrice portugaise controversée, Manuela Moura Guedes, a accepté d’endosser le rôle : elle use des pires ficelles pour tirer les larmes de son invité, et c’est l’une des scènes les plus fortes du film.

Diamantino est enfin une histoire d’amour au sein d’un couple fort peu conventionnel. La jeune policière, véritable James Bond au féminin, et lesbienne au début de l’histoire, va tomber amoureuse de Diamantino, dont le corps est en train de se transformer, et de se féminiser, sous l’effet d’une manipulation génétique décidée par ses sœurs jumelles – deux clones de Cruella. L’histoire d’amour va-t-elle triompher ? Le duo de choc Abrantes et Schmidt avoue son goût pour les vieilles comédies hollywoodiennes, dont ils vantent la « radicalité », et citent dans leur répertoire L’Impossible Monsieur Bébé (1938), de Howard Hawks, avec Katharine Hepburn et Cary Grant dans le rôle d’un paléontologue. Point de léopard dans Diamantino, mais d’autres bébêtes hantent le terrain de foot.

#3 | 57th Semaine de la Critique
Durée : 01:01

Film français, portugais et brésilien de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt. Avec Carloto Cotta et Cleo Tavares (1 h 32). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.ufo-distribution.com/movie/diamantino et www.semainedelacritique.com/fr/edition/2018/film/diamantino