Julie Autisser et Raphaël Callandreau dans « J’ai mangé du Jacques ». / ALEJANDRO GUERRERO

Des mélodies se croisent, sous les doigts du pianiste et chanteur Raphaël Callandreau. Celles de Mon oncle, composée par Franck Barcellini pour le film de Jacques Tati, celle de Frère Jacques, la comptine dont l’origine remonterait au milieu du XVIIIe, celle du Galop infernal qui figure en ouverture d’Orphée aux enfers d’Offenbach, ou de Ne me quitte pas, l’une des chansons les plus connues de Brel.

Cette entrée instrumentale pose le « concept » du spectacle J’ai mangé du Jacques, que jouent Raphaël Callandreau et la chanteuse, à l’occasion pianiste et percussionniste, Julie Autissier, présenté au Théâtre de l’Essaïon, à Paris, chaque lundi et mardi jusqu’au 29 mai. Au répertoire, des chansons composées, écrites, interprétées par « un tas de mecs qui s’appellent Jacques », indique l’affiche.

Au programme, des Jacques bien connus, Dutronc et son parolier Lanzmann, Prévert, Brel, Higelin, Offenbach, donc, le quartette vocal Les Frères Jacques, dont pas un des membres ne portait ce prénom. D’autres ont moins marqué les mémoires, ou bien l’on ne pense pas spontanément à eux en écoutant des tubes. Ainsi Jacques Datin, qui a composé la course-poursuite d’Une petite fille pour le texte de Claude Nougaro, ou Jacques Revaux pour Comme d’habitude. Le duo transforme cette chronique du quotidien d’un couple en train de se défaire en une bossa nova, qui apporte une légèreté, une fantaisie décalée.

Piano-voix swing

C’est l’une des bonnes idées du spectacle, par lequel le traitement instrumental des classiques fait souvent mouche. Les enfants qui s’aiment (texte Jacques Prévert, musique Joseph Kosma) dans l’accompagnement minimaliste d’un triangle et d’une derbouka, des halètements en base rythmique d’Une petite fille ou Fais pas ci, fais pas ça (Dutronc, Lanzmann) qui part du gospel, va vers le rap, passe par le blues jusqu’au music-hall des années 1930. Et si Tombé du ciel, de Jacques Higelin, reste dans les pas de son créateur, l’aspect piano-voix swing souligne au mieux la filiation avec Charles Trenet.

J’ai mangé du Jacques mène souvent vers le sourire, par l’interprétation, des éléments de comédie (l’obsession pour Les Fesses des Frères Jacques), les trouvailles musicales, le passage consacré aux musiques de Jacques Cardona pour les génériques des dessins animés Inspecteur Gadget ou Les Cités d’or. La tendresse est là aussi, la retenue dans un doublé Sur la place et L’Ivrogne de Brel.

Et puis, il y a cette émouvante évocation d’un probable oublié de nos jours, Jacques Douai, mort en 2004, passeur en chanson de poésies médiévales, d’airs du folklore, qui a chanté Prévert, Ferré, Brassens… Raphaël Callandreau et Julie Autissier recréent une rencontre entre Jacqueline Joubert et Douai lors d’une émission de télévision, en 1956, l’occasion de retrouver Démons et merveilles (texte de Prévert, musique de Maurice Thiriet) qui figurait dans le film Les Visiteurs du soir de Marcel Carné. Un moment de grâce au cœur de ce spectacle astucieux, varié, en l’honneur de tous ces Jacques.

Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre-au-Lard, Paris 4e. Mo Rambuteau, Hôtel-de-Ville. Tél. : 01-42-78-46-42. Lundi et mardi, à 19 h 45. Jusqu’au 29 mai. De 15 € à 20 €.