Analyse. C’est un pays stable d’Afrique australe, le Botswana, qui donne une leçon de bonne gouvernance au géant d’Afrique centrale, la République démocratique du Congo (RDC). En marge d’un sommet du Commonwealth, le 19 avril à Londres, le nouveau président Mokgweetsi Masisi, investi deux semaines plus tôt, a critiqué son homologue congolais, Joseph Kabila, toujours à la tête de l’Etat malgré la fin de son dernier mandat en décembre 2016 : « Les tensions montent en RDC. Le président est resté au pouvoir plus longtemps que prévu et il y a de l’agitation. »

Avec deux ans de retard, les élections, encore incertaines, sont censées se tenir le 23 décembre

Cinq jours plus tard, les chefs d’Etat de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), présidée par le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, se sont retrouvés autour de M. Kabila, à Luanda, capitale de l’Angola. Dans les conclusions de ce sommet, l’organisation régionale rappelle son attachement « à la mise en œuvre du calendrier électoral » et à la « tenue des élections pacifiques et crédibles » en RDC. Avec deux ans de retard, les élections, encore incertaines, sont censées se tenir le 23 décembre. Une date qui pourrait être historique, tant elle marquerait la fin de la crise politique et permettrait la première alternance pacifique dans ce pays.

Malgré des pressions diplomatiques et des sanctions économiques ciblées, les Occidentaux, à court d’idées pour maintenir la pression sur le régime de Kabila, semblent avoir atteint leurs limites. Leurs positions sont jugées « humiliantes », « agressives » et « contre-productives » par les diplomates des pays et des organisations de la sous-région, désormais à l’œuvre, avec une approche plus subtile, parfois aussi facilitée par les liens étroits tissés durant les guerres congolaises.

Initiatives régionales

Stratège habile, le jeune président congolais de 46 ans connaît bien ses parrains régionaux sans qui son père, Laurent-Désiré Kabila, n’aurait jamais pu renverser Mobutu Sese Seko en mai 1997. Il se méfie désormais de son voisin angolais qu’il soupçonne de « neutralité malveillante ».

« Dans notre intérêt et pour la stabilité de la région, les élections sont impératives et Kabila doit partir » Un diplomate angolais

Au pouvoir depuis septembre 2017, le nouveau président angolais, Joao Lourenço, général à la retraite choisi par le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le tout-puissant parti-Etat, a fini par se retourner contre son prédécesseur et à s’ouvrir aux Occidentaux dont la France, où il est attendu le 28 mai. Il tente de mener des initiatives régionales pour faire pression sur M. Kabila, qui le soupçonne de soutenir son opposition.

« Dans notre intérêt et pour la stabilité de la région, les élections sont impératives et Kabila doit partir », confie un diplomate angolais. L’impulsion angolaise semble soutenue par le nouveau président sud-africain, M. Ramaphosa, élu en février à la place de Jacob Zuma, ami personnel et partenaire d’affaires de la famille Kabila. Syndicaliste devenu homme d’affaires prospère puis chef du Congrès national africain (African National Congress, ANC), M. Ramaphosa a déjà agacé Kinshasa. « On n’a pas apprécié que M. Ramaphosa abrite la conférence de lancement du mouvement politique de l’opposant Moïse Katumbi [le 12 mars, à Johannesburg] et qu’il y envoie une délégation de l’ANC », dit un proche conseiller de M. Kabila.

« Sortie honorable »

A Kinshasa, les stratèges du régime se méfient de l’axe Pretoria-Luanda, où des apparatchiks aux desseins réformateurs ont accédé au pouvoir. Un cacique de la région reste toutefois fidèle au régime Kabila : le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa, qui a mis fin à trente-sept ans de règne de Robert Mugabe. En toute discrétion, le nouvel homme fort d’Harare tente de « négocier une sortie honorable à Joseph Kabila », comme le dit l’un de ses conseillers.

Durant la seconde guerre du Congo (1998-2003), le Zimbabwe avait déployé près de 12 000 soldats pour venir en aide à Kabila père, contre le Rwanda et l’Ouganda déterminés à faire chuter leur ancien protégé. M. Mnangagwa était alors conseiller spécial du président Mugabe pour la RDC, où il orchestrait notamment la mainmise sur l’exploitation illégale de mines pour le compte de l’élite politico-militaire zimbabwéenne.

« C’est grâce à eux qu’on est au pouvoir, et ils sont avec nous, admet volontiers un dignitaire du régime de Laurent-Désiré Kabila devenu l’un des stratèges de son fils. Le Zimbabwe nous a clairement conseillé de renforcer notre parti et nous a reproché de ne pas avoir formé un puissant parti-Etat. » Parmi les pistes de « sortie honorable » figure en bonne place la conservation du pouvoir par un parti fort… que présiderait M. Kabila.

Des lignes qui évoluent

Le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), considéré comme une « coquille vide » par certains de ses responsables, a révisé ses statuts. Mais nul n’est dupe sur la capacité à devenir en quelques mois un appareil puissant, structuré et de masse tel que le MPLA, l’ANC, ou encore le Front patriotique rwandais (FPR).

Au sein de la communauté régionale, traditionnellement très impliquée en RDC aux côtés de Kabila père et fils, les lignes évoluent donc. Plus question pour la SADC de faire bloc derrière le régime congolais. La crise congolaise redéfinit les rapports de force régionaux, permettant à certains Etats d’agir au nom de la « stabilité régionale », de renforcer leur légitimité en s’imposant comme des interlocuteurs privilégiés d’Occidentaux privés de leviers sur le régime congolais. Et de se positionner pour l’après-Kabila.

« Les problèmes du Congo ne sont pas seulement des problèmes congolais. Chacun des neuf voisins est affecté par ce qu’il s’y passe », a déclaré le président rwandais, Paul Kagamé, interrogé par le milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim, le 28 avril. Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur proche de M. Kabila devenu opposant, se trouvait dans la salle où était remis le prix de la Fondation Mo Ibrahim pour la bonne gouvernance…