Samedi 12 mai, 24,5 millions d’Irakiens sont appelés à voter pour renouveler les 329 sièges du Parlement, qui sera à son tour chargé de désigner le futur premier ministre. Pour ces premières élections législatives post-Etat islamique (EI), le scrutin est placé sous haute sécurité. Bien que vaincu militairement fin 2017, le groupe djihadiste a menacé d’attaquer les bureaux de vote via ses cellules dormantes.

Le chef du gouvernement, Haïder Al-Abadi, qui brigue un second mandat à la tête d’une coalition multiconfessionnelle, est donné favori face à une alliance de candidats issus des groupes politico-militaires chiites proches de l’Iran.

Ce sont deux visions de l’Irak qui s’affrontent et qui donnent à ces élections un enjeu tout particulier, davantage encore après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, porteur de déstabilisation pour toute la région.

  • Les élections en chiffres

Plus de 7 000 candidats, dont 2 600 femmes, se présentent dans les dix-huit provinces irakiennes. Le Parlement comprend 329 sièges, dont neuf sont réservés aux minorités (chrétienne, shabak, sabéenne, yézidie et kurdes faïli – chiites –) et 83 aux femmes. Tous sont élus pour un mandat de quatre ans.

Plus de 24,5 millions d’électeurs sont appelés à voter dans 8 148 bureaux, tous équipés pour le vote électronique. Le vote manuel a été retenu pour les 285 564 électeurs déplacés dans 70 camps dans huit provinces du pays. Les Irakiens de la diaspora ont voté dans dix-neuf pays, ainsi que les forces de sécurité irakiennes, jeudi.

  • Sécurité et intégrité du scrutin

Un couvre-feu a été décrété sur Bagdad et les grandes villes d’Irak, les frontières du pays fermées et les lignes aériennes suspendues pendant 24 heures, samedi. L’EI a menacé de perpétrer des attaques lors du scrutin. Il est à craindre que ces menaces puissent détourner certains électeurs des bureaux de vote.

L’intégrité du scrutin pose aussi question. Le gouvernement a opté pour le vote électronique afin de minimiser les possibilités de fraude. Mais, outre les soupçons d’achats de vote, des responsables politiques indiquent que des dizaines de milliers d’électeurs n’ont pas pu obtenir leur carte électorale, notamment dans les provinces de l’Anbar, de Ninive et à Bagdad. Sans compter que des diplomates occidentaux redoutent des dysfonctionnements avec les machines de vote électronique.

  • Fin de la corruption et du confessionnalisme, les deux slogans de campagne

A la suite de l’expansion de l’EI sur l’Irak, nombre d’Irakiens disent vouloir se débarrasser des élites au pouvoir, jugées trop corrompues et sectaires, qui depuis quinze ans ont négligé l’intérêt public et fragilisé les institutions.

Ce sentiment palpable chez une partie croissante des chiites comme des sunnites est aujourd’hui exploité par la quasi-totalité des partis politiques, qui affichent des programmes appelant à l’unité de l’Irak et à la réconciliation, à la lutte contre la corruption et à des réformes en profondeur.

  • Le premier ministre Al-Abadi brigue un second mandat

Le premier ministre sortant Haïdar Al-Abadi, 66 ans, aborde ces élections sans garantie de succès. Porté au pouvoir en août 2014 pour tenter d’en finir avec les pratiques jugées discriminantes de son prédécesseur Nouri Al-Maliki, cet homme de compromis a inscrit à son bilan la victoire militaire contre l’EI, l’apaisement des tensions interconfessionnelles et le maintien de l’unité territoriale du pays après le référendum d’autodétermination kurde.

Sa liste, l’Alliance de la victoire, est la seule à présenter des candidats dans les dix-huit provinces du pays, de toutes confessions et ethnies. Mais M. Al-Abadi est critiqué pour la persistance de la corruption au sein de l’appareil d’Etat, les difficultés économiques et les mesures d’austérité adoptées à la suite de la baisse des cours du pétrole et pour financer la lutte contre l’EI.

  • Les milices chiites, challenger d’un camp chiite divisé

Le parti Dawa, auquel appartient M. Abadi, s’est divisé entre une majorité – dont la direction – qui a rejoint le premier ministre et une minorité restée fidèle à son prédécesseur et secrétaire général du parti, Nouri Al-Maliki. Marginalisé en 2014 après huit ans au pouvoir, ce dernier voit ses capacités de mobilisation limitées, mais pas sa force de nuisance. Le dignitaire populiste chiite Moqtada Al-Sadr a formé une alliance inédite avec le Parti communiste.

Les organisations politico-militaires chiites proches de l’Iran, réunies au sein de la coalition Al-Fatih (« Conquête »), sont vues comme le principal concurrent de M. Al-Abadi. Leur chef, Hadi Al-Améri, 63 ans, mène campagne sur la victoire contre les djihadistes de l’EI. Leader de l’organisation Badr, architecte des forces de mobilisation populaire, alliance de milices principalement chiites qui ont été essentielles dans la bataille, il entretient des liens étroits avec le corps des gardiens de la révolution iranienne et maintient des contacts avec les diplomates américains en poste à Bagdad.

  • Le camp sunnite, champ de ruines

La minorité sunnite d’Irak – environ 40 % de la population – est elle aussi divisée entre plusieurs listes dont la principale est « L’alliance nationale », emmenée par le vice-président chiite Iyad Allaoui – mais qui se présente en laïc – et le président sunnite du Parlement Salim Al-Joubouri. Laminés par la percée de l’EI, les sunnites – dont 1,6 million sont toujours déplacés dans des camps – pourraient être les grands perdants de ce scrutin.

Les nouveaux venus dans la course misent sur la désaffection de la population envers les élites locales au pouvoir, dont la corruption et la négligence sont un des facteurs qui a poussé la province dans les bras de l’EI en 2014. Ces dernières, qui tentent de se donner un nouveau souffle, peuvent toutefois compter sur leurs réseaux, leurs relais à Bagdad et leur argent.

  • Le contrecoup du référendum d’autodétermination kurde

Après l’échec du référendum d’autodétermination du Kurdistan et la reconquête par Bagdad des « territoires disputés », les Kurdes partent en rangs divisés pour les 46 sièges de la région autonome, dont deux réservés aux chrétiens. Les principaux partis kurdes sont les partis historiques du Parti démocratique du Kurdistan (PDK, du clan Barzani) et de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK, du clan Talabani) ; et l’opposition, dont les principales forces sont la Jamaa Islamiya, le mouvement récemment créé « Nouvelle génération » et Goran (le changement, en kurde).

  • L’inconnue de la participation

La Haute Commission électorale indépendante prédit un taux de participation élevé, du fait du calme relatif qui règne dans le pays. Lors des précédents scrutins, marqués par des attaques, il s’était élevé à environ 60 %. De nombreux Irakiens assurent toutefois qu’ils n’iront pas voter, affichant leur désaffection pour la classe politique et leur désillusion sur les perspectives d’un changement.

  • Tractations et compromis pour former un gouvernement

Les résultats devraient être proclamés sous 48 heures, selon la Haute Commission électorale indépendante. Une fois les résultats proclamés, la Constitution prévoit un délai maximum de 90 jours pour la formation du futur gouvernement. Du fait de la multiplicité des listes, aucune coalition n’est à même de remporter les 165 sièges nécessaires à obtenir la majorité.

Même si l’Alliance de la victoire décroche le plus grand nombre de sièges, des tractations complexes seront nécessaires avec d’autres formations pour parvenir à former un nouveau gouvernement de coalition. « Ce n’est pas seulement le résultat de l’élection qui compte dans le choix du premier ministre mais la position de l’Iran, de l’Arabie saoudite et des Etats-Unis », reconnaît Hussein Al-Adhili, le porte-parole de campagne de M. Al-Abadi.