Manifestation, à Potsdam, près de Berlin, en avril, pour réclamer une hausse des salaires dans le secteur public. / RALF HIRSCHBERGER / AFP

Le chiffre a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux – en particulier en France : en 2015, la part de travailleurs pauvres (vivant sous le seuil de pauvreté, à 50 % du revenu médian) était de 3,7 % en Allemagne, soit deux fois moindre que celle de l’Hexagone, à 7,1 %, selon les chiffres publiés, le 8 mai, par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Voilà ce qui, à première vue, bat en brèche l’idée selon laquelle l’Allemagne est la championne des travailleurs pauvres, en dépit de sa puissance économique. Le généreux modèle social français n’était-il pas censé mieux protéger ses salariés ?

Si l’on se fie à Eurostat, c’est pourtant toujours le cas. Selon les données de l’office statistique de l’Union européenne, fréquemment citées sur le sujet, 9,5 % des travailleurs allemands étaient considérés comme pauvres en 2016, contre 7,9 % pour les Français. Soit un constat bien différent de celui de l’OCDE.

Mais alors, qui dit vrai ? « Les deux, car ces données ne mesurent pas exactement la même chose », explique Stefano Scarpetta, directeur de la division emploi à l’OCDE.

Taux de chômage plus bas en Allemagne

Ces nuances de paramètres statistiques ont de quoi donner le tournis aux non-initiés, mais elles sont importantes pour comprendre ce qui sépare nos deux pays. Si l’on schématise, Eurostat regarde la part des travailleurs pauvres pris individuellement par rapport à l’ensemble des personnes en activité, tandis que l’OCDE mesure le pourcentage des personnes membres d’un ménage vivant sous le seuil de pauvreté, et où au moins l’un des adultes travaille. Ici, la composition du foyer entre donc en compte, avec le nombre des adultes en emploi, et une pondération selon le nombre d’enfants. Et cela explique les écarts. « Tous ces chiffres montrent que la part des travailleurs pauvres est plus élevée en Allemagne qu’en France, lorsqu’ils sont comptabilisés individuellement, mais elle est plus basse si l’on prend en compte la composition du foyer », détaille M. Scarpetta.

Et ce, pour une raison bien simple : le taux de chômage est plus bas chez nos voisins (3,4 % en mars, contre 8,8 % chez nous), tandis que leur taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de personnes disposant d’un emploi parmi celles en âge de travailler, est à 75,6 %, soit 10 points de plus que le nôtre (65,2 %). Il y a donc beaucoup plus de ménages allemands où les deux adultes travaillent, ce qui explique que les chiffres de l’OCDE soient plus bas. D’autant que les Français font plus d’enfants. Les membres d’un ménage tricolore avec trois enfants où un seul parent touche un salaire seront mécaniquement plus pauvres que le même couple allemand, mais sans bambin.

Faiblesse du modèle français

« Ces chiffres éclairent surtout les différences de modèles choisis par nos pays », commente Patrick Artus, économiste chez Natixis. L’Allemagne a fait le choix d’inclure un maximum de personnes dans l’emploi, quitte à ce que certains métiers soient plus précaires. En 2017, la proportion des temps partiels y était de 29,6 %, contre 18,1 % chez nous, selon Eurostat. Et elle est particulièrement élevée chez les femmes (46,4 %, contre 29,6 % en France). Les jobs tricolores sont moins précaires, mais davantage de personnes sont exclues du marché du travail.

C’est d’ailleurs la grande faiblesse du modèle français, car elle fait grimper les inégalités de revenus entre ceux inclus et ceux exclus de l’emploi. « Voilà pourquoi les inégalités de revenus avant redistribution sont plus élevées en France qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne, mais elles sont largement corrigées, ensuite, par les transferts sociaux, ajoute M. Artus. Pour les réduire, nous avons intérêt à améliorer l’éducation et la formation pour faire revenir un maximum de personnes sur le marché du travail. »