« L’idée n’est pas de jouer au petit mec pauvre qui veut pénétrer le monde des ultra-riches. » L’idée c’est de répondre à la question : « Cannes sans argent, c’est comment ? » Edwin a 25 ans. Il est beau, il sourit, il est propre sur lui et il s’est lancé un défi : vivre à Cannes, le temps du festival, sans toucher à l’argent. Il n’a ni carte bleue ni smartphone. Juste son sac à dos et son panneau, qui précise sa demande : un logement pour la nuit, et de la nourriture. Il compte sur la solidarité, espère la bonté. « Il est comment le cœur des gens, à Cannes ? »

Cela fait cinq jours que « ça marche » pour lui. Edwin a été hébergé par des étudiants en cinéma, des touristes, des locaux. Des gens sympas. On lui a offert des sandwichs, on l’a emmené en soirée. A travers cette expérience, qu’il a aussi menée à Saint-Tropez et Monaco, entre autres, Edwin, étudiant en aménagement du territoire à Rennes, essaye de « comprendre sensiblement ». « En théorie, tu sais ce que veut dire le terme galérer, mais quand on te dit : “Tu ne peux pas rester là”, “Tu n’as pas ta place ici”, “Tu ferais mieux de travailler plutôt que d’attendre et de demander” ou “Ce serait plus facile si t’étais une fille, t’écarterais les cuisses, et tu trouverais plus vite”, tu reconsidères la précarité, questionnes l’humanité. »

Edwin, 25 ans, au festival de Cannes 2018. / Charlotte Herzog pour Le Monde

Chaque matin, il repart de zéro, « sinon ça ne compte pas ». Il ne reste pas plus d’une nuit chez son hôte solidaire. Il n’accepte pas non plus les nombreux billets que les gens lui tendent. Il ne touche pas à l’argent. Mais bien souvent, c’est ainsi qu’on lui propose de régler son « problème ». Sauf qu’Edwin n’a pas de « problème », ce qu’il veut à tout prix, c’est « déconstruire l’idée selon laquelle les relations seraient, au final, régies par l’argent. Vérifier que l’on peut faire autre chose que monnayer, compter, négocier. Ignorer, juger, classer, caster. Utiliser, consommer, gâcher, jeter. Perdre son autonomie. S’éloigner de notre nature sauvage. Mais pour ça, il faut se regarder, s’écouter, chercher à se comprendre. Pour mieux s’entraider. Pour mieux s’aimer. C’est pour ça que c’est intéressant d’être à Cannes, pendant le festival. »

Jeu d’image

« Finalement, tout ça est un jeu de communication, d’image. La majorité des gens voient mon carton et l’assimilent à une demande qu’ils n’ont pas envie de traiter, alors ils tournent la tête. » En une journée passée à ses côtés, on a pu observer des gens qui lui souriaient, et d’autres que cela faisait sourire. Des gens qui se sont arrêtés et lui ont dit : « C’est un jeu ? », « Vous voulez voir des films ? », « Je peux vous prendre en photo ? », « Tu devrais essayer avec de l’argent, c’est plus facile comme ça, Cannes », « Vous n’allez pas réussir ici, croyez-en mon intuition de vieux festivalier », « Vous savez quoi, même sans rien, vous allez l’air plus heureux que tous les gens ici. Je le vois dans vos yeux ».

Parfois, Edwin a peur. Non pour sa sécurité, les policiers sont partout à Cannes. Peur de ne pas réussir à combler ses besoins primaires. Peur de se rendre compte que tout peut très vite dégringoler. Peur de perdre sa dignité. Peur du regard des autres. Ces autres, « qui te regardent comme si tu étais un moins que rien. » Peur de se sentir vraiment seul dans ce projet « assez fou » de sonder la solidarité de « cet univers, de ceux qui peuvent ». « T’en viens à te poser encore plus de questions : est-ce qu’ils ciblent ma tête ? Mon carton ? Ma tenue ? A quel moment ils considèrent que je n’existe pas ? Parce qu’au final, tout ce que tu es parle de toi. Surtout ici. Qui est qui ? Qui n’est personne ? De qui on a besoin, ou pas ? »