Sélection officielle – Un certain regard

Alejandro Fadel n’aime pas tant les histoires que la façon dont on les raconte. A partir d’éléments narratifs accumulés au fil de la vie, des lectures et des paysages qu’il souhaiterait filmer, il se plaît dès lors à les agencer selon un ordre discordant. Puis de les mettre en scène en usant de genres et de ­codes cinématographiques, eux-mêmes, détournés. Telle est la méthode qu’il a appliquée et qu’il porte au sommet, dans son deuxième long-métrage dont il signe aussi le scénario, Meurs, monstre, meurs, présentée dans la ­catégorie Un certain regard.

Le titre du film n’est rien d’autres que les trois mots scandés, par une voix intérieure, à ­David (Esteban Bigliardi), principal suspect dans une affaire de meurtre. Le corps de sa femme, Francisca, a été retrouvé au milieu d’un troupeau de moutons, dans un coin reculé de la cordillère des Andes. Cruz (Victor Lopez), officier de la police rurale et, accessoirement, amant de Francisca, est chargé de l’enquête. D’autres crimes similaires suivront. David sera envoyé dans un hôpital psychiatrique où l’on tentera de comprendre l’origine et l’objet de ses hallucinations.

L’une des terrifiantes trouvailles du film est de nous placer à l’intérieur d’un monstre

Si nous voulons demeurer fi­dèles à la démarche d’Alejandro ­Fadel, arrêtons là l’histoire. En revanche, faut-il préciser, que Meurs, monstre, meurs ne nous emmène ni dans un thriller ni dans un polar à grand espace, mais dans un film d’horreur dont l’une des terrifiantes trouvailles est de nous placer à l’intérieur d’un monstre. Un monstre auquel nous n’avons aucune chance d’échapper puisqu’il se tapit en nous, sous les noms divers de folie, de violence ou de peur. La créature, quel que soit le nom qu’elle revêt, tord les corps, s’échappe des bouches, par des haut-le-cœur et des jets de liquide vert gluant.

Une scène du film argentin d’Alejandro Fadel, « Meurs, monstre, meurs » (« Muere, monstruo, muere »). / UFO DISTRIBUTION

Le propos ne prête pas à rire. Il remonte à loin, et a nourri tous les arts. L’esthétique du film emprunte, pour le signifier, à l’art religieux et à la mythologie, en n’hésitant pas à en épaissir le trait. Meurs, monstre, meurs, c’est la descente du Christ et de ses apôtres aux enfers ; une tragédie grecque visitée par le fantastique. Un film qui donne à voir la bête : cette humanité du temps présent, assise sur des mythes que la violence sociale, la répression, le repli sur soi font éclater en morceaux.

Quelques éclats de dérision

Il n’empêche. Alejandro Fadel ne serait pas ce qu’il est s’il ne s’au­torisait pas à glisser quelques éclats de dérision au sein de la noirceur morbide de son film. Le décryptage auquel s’essaient les deux inspecteurs sur le fameux « Meurs, monstre, meurs » qu’entend sans cesse David, donne ainsi lieu à un échange savoureux : « MMM, curieux, comme la forme du sommet des trois montagnes des environs », remarque, l’air pénétré, le policier Cruz. « Comme les chocolats », relève son supérieur, l’air tout aussi pénétré.

De même que le cinéaste nous aide à ne pas tout à fait prendre au sérieux le monstre dont la représentation concrète n’arrive qu’à la toute fin du film. Ce mollusque primal réunissant, de la gueule à la queue, les deux sexes masculin et féminin, relève plus du bon vieux dessin animé que celle du film gore. Une mise à distance dont le but vise à alléger la symbolique du genre horrifique. Et placer le monstre à hauteur d’homme. La nôtre.

Film argentin d’Alejandro Fadel. Avec Victor Lopez, Esteban Bigliardi, Tania Casciani(1 h 39). Sortie en salle prochainement. Sur le Web : www.ufo-distribution.com/movie/meurs-monstre-meurs et www.festival-cannes.com/fr/festival/films/muere-monstruo-muere