Medhanie à son arrivée à l’aéroport italien de Palerme, depuis le Soudan, en juin 2016. / Handout . / REUTERS

C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire de Medhanie Tesfamariam Behre, cet Erythréen accusé en Italie d’être l’un des plus importants trafiquants d’êtres humains de la Méditerranée. Arrêté en mai 2016 grâce à la collaboration des polices anglaise, suédoise, italienne et soudanaise, et incarcéré à Palerme depuis bientôt deux ans, le jeune plombier n’a cessé de déclarer qu’il y avait erreur sur la personne. A cet effet, la défense a produit le 9 mai un test ADN qui pourrait être le dernier clou dans le cercueil de l’accusation.

Le 6 avril, l’avocat Michele Calantropo s’était rendu en Suède pour y rencontrer Lydia Tesfu, la femme de Medhanie Yehdego Mered – le trafiquant présumé avec lequel l’accusé serait confondu –, et leur enfant Raei. « Il n’a pas été facile de lui expliquer l’importance que revêtait le prélèvement de sa salive et de celle de son fils. Mais elle a accepté de le faire pour sauver son honneur et montrer que son mari n’est pas celui emprisonné à Palerme », explique le défenseur de Medhanie Tesfamariam Behre. Après examen de ces échantillons, le généticien italien Gregorio Seidita a produit un compte rendu de onze pages, que Le Monde Afrique s’est procuré. Il y conclut : « Il ressort de l’analyse génétique conjointe de Lydia Tesfu, [de] son enfant Raei et de Medhanie, qu’il y a onze incompatibilités génétiques entre le père présumé et l’enfant. Cela nous permet d’affirmer sans aucun doute que Medhanie ne peut pas être le père biologique de l’enfant Raei. »

« Nous avons déjà apporté tellement de preuves »

Si ce test devait être accepté comme preuve par la justice italienne, la thèse du ministère public serait encore fragilisée. En effet, pour le procureur palermitain Calogero Ferrara, le Medhanie incarcéré est non seulement le mari de Lydia Tesfu mais surtout le père de Raei Yehdego. Il l’a répété plusieurs fois en audience et écrit dans l’acte d’accusation, malgré que Lydia Tesfu ait à plusieurs reprises déclaré que le prisonnier n’était pas son époux, et bien que la page Facebook de Mered, le passeur présumé, soit toujours en activité et affiche la photo de Raei comme image de profil.

En dépit de ces nouveaux éléments, l’avocat de la défense reste sceptique sur les chances de son client d’être libéré lors de la prochaine audience, le 21 mai. « Au vu de la masse des preuves que nous avons fournies, il y aurait assez d’éléments pour le libérer. Mais nous devrons sans doute attendre jusqu’à septembre pour obtenir le jugement de cette triste histoire », prévient-il. Un pessimisme que partage Seghen, la sœur de Medhanie. « Honnêtement, je ne sais pas comment on peut leur prouver qu’il n’est pas le trafiquant que l’on recherche. Nous avons déjà apporté tellement de preuves. Le plus frustrant, c’est que tout le monde sait que le vrai coupable se balade librement en Ouganda. Deux de mes amis sur place me l’ont encore confirmé le mois dernier », dit-elle depuis le Soudan, où elle réside.

Cette information a été confirmée par plusieurs médias dont le quotidien britannique The Guardian et la télévision nationale suédoise SVT, qui ont révélé en avril que le véritable trafiquant se trouvait à Kampala, la capitale ougandaise. Les médias locaux se sont ensuite emparés de l’affaire. Le 14 avril, le quotidien progouvernemental New Vision en a même fait sa « une ». Mais du côté des responsables officiels ougandais, la plus grande discrétion reste de mise. Le ministre chargé des réfugiés, Hillary Onek, a ainsi déclaré lors d’une conférence de presse « n’avoir reçu aucune demande de la part d’Interpol ».

Secret de polichinelle

Le 18 avril, un autre quotidien, The Observer, s’est emparé de l’affaire. Citant « une source haut placée », il a affirmé que le trafiquant aurait voyagé sous un faux nom avec un passeport ougandais. Un élément embarrassant pour Kampala. Le porte-parole de la police, Patrick Onyango, a cherché à temporiser en expliquant vouloir en premier lieu « vérifier [cette] information » et affirmé qu’il s’était entretenu avec Interpol Ouganda sur ce sujet, sans avoir reçu de notification le concernant. Et pour cause, comme toutes les branches nationales de l’organisation, le bureau ougandais emploie des officiers locaux. Toute sollicitation d’une réaction de leur part se heurte à un refus poli, le demandeur étant renvoyé… vers Patrick Onyango.

Mais au sein de la communauté érythréenne de Kampala, la présence dans le pays de Medhanie Yehdego Mered semble être un secret de polichinelle. Zecarias Gerrima, le directeur adjoint d’Africa Monitors, une organisation de défense des droits des réfugiés est-africains, est lui aussi persuadé que la personne jugée en Italie n’est pas la bonne. Comme plusieurs Erythréens qui ont témoigné l’avoir reconnu dans la capitale ougandaise, le plus souvent accompagné de gardes armés, Zecarias a souvent croisé Mered à Muyenga, un quartier animé de la ville. En particulier au Sami’s Bar, lieu de prédilection de la diaspora érythréenne. Situé sur une rue passante entre une pizzeria et des friperies, ce bar populaire aurait même appartenu un temps au trafiquant présumé.

Même si Zecarias reconnaît « ne pas avoir vu [ce dernier] depuis plusieurs mois », il reste très remonté contre l’Italie. « Les Italiens cherchent à sauver la face à tout prix, quitte à juger la mauvaise personne. Le vrai Mered est tranquille pour le moment, parce que personne ne le recherche officiellement », s’insurge le directeur adjoint d’Africa Monitors. Pour lui, il est même probable que Mered soit toujours impliqué dans des trafics : « Il a l’argent, les réseaux et il sait qui arroser, il n’y a aucune raison qu’il arrête. »