Sélection officielle – en compétition
L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

C’est une histoire vieille comme l’inégalité. Celle de l’homme ordinaire contraint de se lever avec les siens contre plus puissant que lui, forcé de devenir chef de guerre. Stéphane Brizé est un cinéaste réfléchi et le titre de son film cristallise la violence qu’il met en scène avec autant de colère que de lucidité. Aucun coup de feu ne sera tiré, c’est à peine si quelques coups seront échangés. Pourtant, la lutte que mène Laurent Amédéo (Vincent Lindon) contre la fermeture de l’usine dont il est salarié est bien un conflit dont l’issue verra l’application d’un des principes fondamentaux de la guerre : malheur aux vaincus.

Lire l’entretien avec Vincent Lindon : « J’essaie d’être dans des films qui servent un peu »

Brizé extrait cette histoire de la litanie des chaînes d’information en continu. La première séquence est frappée du sceau de BFM TV qui rapporte le dernier incident du conflit opposant les salariés de Perrin Industrie, équipementier automobile racheté par un groupe allemand, à la maison mère qui a décidé la fermeture de leur usine. Le logo de la chaîne s’efface alors que les caméras de Brizé qui restent quand d’ordinaire leurs consœurs de la télévision quittent la pièce. On est dans une salle où se font face les représentants syndicaux et les cadres de l’usine et de la filiale française du groupe allemand.

Dès cette première confrontation, on s’aperçoit que la méthode que le metteur en scène a mise au point sur le tournage de La Loi du marché tourne à plein rendement. Dans le champ, Vincent Lindon est le seul acteur professionnel. Il est entouré de débutants, Olivier Lemaire, qui incarne le représentant d’un syndicat maison, avec qui Amédéo le ­cégétiste fait front commun, ­Mélanie Rover, la collègue de la CGT, Jacques Borderie, le patron de l’usine. Entre le vétéran des plateaux et les néophytes, il n’y a pas d’autre différence que celle qu’introduit le scénario, d’une extraordinaire précision. Il y a deux ans, après le rachat de Perrin Industrie, la direction a obtenu du personnel des concessions sur les salaires et la durée du travail en échange de la promesse du maintien de l’emploi.

La loi d’airain de la rentabilité

Le regard générique que l’information en continu porte sur ces situations s’est mué en intérêt pour les individus et en interro­gations sur les raisons de chacun. Les cadres expliquent aux ouvriers et aux employés la dureté de la concurrence internationale, la loi d’airain de la renta­bilité, dans le langage qu’on emploie aujourd’hui, fait de fatalismeet de mathématiques. Les ouvriers tentent de faire entendre que leur enjeu n’est pas le cours en Bourse mais leur avenir, réduit à ses composantes les plus élémentaires : où ils vont habiter, de quoi ils vont se nourrir, comment ils élèveront leurs enfants.

Ce que montre Stéphane Brizé au long de cette introduction ­magistrale n’a rien d’un débat. Ce sont des troupes qui ma­nœuvrent pour se mettre en ­position. Entre les deux, il y a un no man’s land vide de mots et de sens communs.

S’il est une chose que démontre ce film, c’est que nous ne vivons pas dans un monde idéal

En guerre ne sera pas de ces films imprégnés de l’exaltation du combat. Régulièrement les logos des chaînes d’information reviendront pour scander les escarmouches du conflit : la montée à Paris, les coups d’éclat, bientôt présentés comme des actes de vandalisme, fissures et éclatement du front syndical. Sans jamais briser le rythme inexorable du film, Brizé déploie ces situations, met en évidence les blessures qu’elles provoquent, les cicatrices qu’elles laissent, y compris chez l’adversaire.

Le seul privilège dont bénéficie Lindon est de pouvoir sortir de temps à autre Amédéo de l’espace confiné qu’a créé le conflit social. Divorcé, bientôt grand-père, on devine que l’engagement syndical est (aussi ? accessoirement ? surtout ?) un moyen d’échapper à la solitude. Les autres acteurs doivent se débrouiller avec ce qu’ils ont, ils le font tous avec une justesse remarquable. Un mot, aussi cryptique que possible sur la ­conclusion d’En guerre. Elle est déconcertante – c’est un euphémisme. Elle mériterait d’être débattue. Dans un monde idéal, les spectateurs se retrouveraient après la sortie pour en parler. Mais s’il est une chose que démontre ce film, c’est que nous ne vivons pas dans un monde idéal.

EN GUERRE - Le 16 mai au cinéma
Durée : 01:43

Film français de Stéphane Brizé. Avec Vincent Lindon, Olivier Lemaire, Mélanie Rover (1 h 53). Sortie en salle le 16 mai. Sur le Web : diaphana.fr/film/en-guerre