Une fabrique d’ustensiles en aluminium, en Inde, en mars 2012. / Jayanta Dey / REUTERS

Dans le secteur de l’aluminium, l’élimination des émissions de gaz à effet de serre n’est pas pour demain, mais elle pourrait faire bientôt un grand pas en avant avec un mode de production non polluant, qui devrait être opérationnel à partir de 2024. Le 10 mai, les groupes Alcoa et Rio Tinto ont annoncé vouloir fonder une entreprise conjointe, Elysis, pour exploiter un procédé qui n’émet pas du tout de dioxyde de carbone contrairement à la technique de fusion traditionnelle. Apple ainsi que les gouvernements canadien et québécois leur apportent leur concours.

L’usine sera la première du genre dans le monde. Le projet doit se développer à Jonquière, dans le nord du Québec, centre névralgique de la production canadienne d’aluminium. L’investissement s’élève à 558 millions de dollars canadiens (365 millions d’euros). Ottawa et Québec mettent chacun 39 millions d’euros sur la table, Apple 8,5 millions, Alcoa et Rio Tinto 278 millions.

La nouvelle technologie, brevetée par Alcoa en 2009 après des années de recherche, entre dans sa phase industrielle. L’objectif est de la vendre sous licence dès 2024 pour de nouvelles installations ou pour modifier des usines existantes. Elle transformerait radicalement la phase de réduction de l’alumine en aluminium, à partir d’anodes inertes utilisant un matériau conducteur évolué qui libérerait de l’oxygène pur.

Des gains de productivité

Le procédé actuel soumet l’alumine à un puissant courant électrique pour provoquer une réaction d’oxydoréduction en faisant appel à des matières carbonées qui, en brûlant, libèrent des gaz à effet de serre. Avec le système d’Elysis, une céramique remplacerait le carbone de l’électrode du four, qui émettait du CO2 en se combinant à l’oxygène.

L’industrie pourrait ainsi obtenir de l’aluminium plus propre et plus rentable. Vincent Chris, nouveau PDG d’Elysis, parle de 15 % de gain de productivité et d’une baisse de 15 % des coûts de production.

Pour le premier ministre canadien, Justin Trudeau, « il s’agit de la plus importante innovation dans l’industrie de l’aluminium depuis plus d’un siècle et d’une étape décisive dans la lutte contre le changement climatique ». Elle pourrait, selon lui, contribuer à réduire de 6,5 millions de tonnes par an les émissions de gaz à effet de serre au Canada. On comprend son enthousiasme à l’heure où la lutte contre le réchauffement piétine dans ce pays.

« Si elle se concrétise, cette annonce pourrait apporter une véritable révolution pour l’industrie de l’aluminium, assure Patrick Bonin, responsable de la campagne climat énergie chez Greenpeace Canada. Reste à connaître tous les impacts environnementaux qui découleraient de l’utilisation de cette nouvelle technologie. »

1 % des émissions de gaz à effet de serre

A lui seul, le Québec produit 2,8 millions de tonnes d’aluminium primaire par an avec l’actuel procédé de fabrication par électrolyse, note Claude Villeneuve, spécialiste en sciences de l’environnement à l’Université du Québec, à Chicoutimi. Et pour en obtenir une tonne, la combustion émet 1,5 tonne de CO2. Cela ne devrait plus être plus le cas.

Apple – qui a provoqué le rapprochement entre Alcoa et Rio Tinto – veut se montrer écoresponsable, mais ses ordinateurs portables, iPad et iPhone demandent beaucoup d’aluminium. « Nous sommes fiers de participer à ce nouveau projet ambitieux », a déclaré son PDG, Tim Cook, assurant qu’il attend la suite « avec impatience ».

Pour le secteur de l’aluminium, qui génère directement 1 % des émissions de gaz à effet de serre de toute l’industrie mondiale (responsable elle-même de 21 % des émissions à l’échelle planétaire), ses performances en termes de bilan carbone devraient stimuler les ventes d’Elysis.

Une centaine de chercheurs, techniciens et ingénieurs vont s’installer prochainement à Jonquière pour travailler à la phase industrielle de la technologie d’abord développée dans les laboratoires d’Alcoa à Pittsburgh (Pennsylvanie). Il est prévu une année de tests avant d’aller plus loin.

« Le potentiel est là, estime Claude Villeneuve. Et si de gros acteurs comme Alcoa, Rio Tinto et Apple investissent autant, c’est qu’ils ont bon espoir d’arriver à parvenir à produire de l’aluminium sans émissions de CO2, peut-être entre 2023 ou 2028. »