Lors des affrontements entre les soldats d’Israël et des manifestants palestiniens, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 14 mai. / SAID KHATIB / AFP

Les tirs de l’armée israélienne contre les milliers de manifestants rassemblés à Gaza le long de la frontière ont fait au moins 58 morts et plus de 1 350 blessés par balles, lundi 14 mai. Au même moment, les Etats-Unis célébraient, à Jérusalem, le transfert de leur ambassade, en présence de Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien. Le chef du service International du Monde, Christophe Ayad, a fait le point avec les internautes au cours d’un tchat.

Benyamin : Bonjour, quelles sont les règles d’engagement des militaires israéliens ? Selon toute vraisemblance, les manifestants palestiniens abattus n’étaient pas armés…

Christophe Ayad : Bonjour. Les règles d’engagement stipulent que toute personne qui entre dans un périmètre de 100 à 300 mètres de la barrière de sécurité israélienne, même côté palestinien, est une menace et peut être abattue. D’où le grand nombre de morts et de blessés, car les Palestiniens se sont massivement rapprochés de la barrière cette fois-ci, et ils étaient bien plus nombreux que les vendredis précédents.

Pso : Qu’est-ce que la « marche du retour » ? Les événements d’hier sont-ils liés seulement à la question de l’ambassade ?

Vous avez raison de poser cette question. Les événements d’hier et la « marche du retour » ne sont pas liés à la question de l’ambassade. C’est une marche, dont l’initiative a été prise au tout début de l’année, pour commémorer la Nakba, c’est-à-dire la fuite des Palestiniens de leurs terres et de leurs habitations au moment de la proclamation de l’Etat d’Israël, en 1948, et de la guerre qui a immédiatement suivi.

Des centaines de milliers de Palestiniens avaient fui leurs foyers, volontairement ou forcés par l’armée israélienne. Ils sont depuis réfugiés à l’étranger (Syrie, Liban, Jordanie) ou à l’intérieur des territoires palestiniens (Gaza et Cisjordanie). L’inauguration de l’ambassade américaine n’a fait que décupler cette frustration et ce souvenir douloureux.

Aya : Dans son article, votre correspondant écrit qu’il n’y a aucune arme à feu ni stratégie du Hamas dans ces manifestations. Alors de quoi les Israéliens ont-ils peur ?

La peur d’Israël, la raison des tirs de son armée, c’est que la barrière de sécurité qui sépare la bande de Gaza du territoire israélien soit violée. Cela créerait un précédent très difficile à gérer ensuite. Israël ne veut sous aucun prétexte qu’elle soit franchie.

Geogo : Est-ce que le Hamas n’a vraiment aucune main sur ces manifs ?

Il semble que le Hamas court derrière les manifestations plus qu’il les organise. Il soutient le mouvement, car ce mouvement est très populaire. Or, le Hamas se sait affaibli militairement et financièrement, à cause du blocus égypto-israélien mais aussi de l’ostracisme de son sponsor qu’est le Qatar et de ses différends avec l’Iran, notamment sur le soulèvement en Syrie. Il sait aussi que sa gestion dans la bande de Gaza a été un échec, donc il se rallie à un mouvement d’opinion fort et populaire. Ensuite, il apporte son soutien logistique, notamment en indemnisant les familles de victimes.

Olivier : La Cisjordanie semble sans réaction. Y a-t-il eu des manifs de soutien à Hébron ou Ramallah ?

Vous avez raison, la Cisjordanie est restée calme hier. Il y a eu de petites manifestations sporadiques à Ramallah, au check-point avec Israël, c’est tout ou presque. Cela illustre bien la déconnexion croissante entre les deux grands territoires palestiniens, une déconnexion physique mais aussi politique et économique. Les populations de Gaza et de Cisjordanie ne vivent pas du tout dans le même environnement.

Le Naggue : Quels sont les intérêts, pour les USA, de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem ? Et quels sont ceux de la France pour ne pas condamner plus fermement les agissements d’Israël ?

Il n’y a pas d’intérêt économique dans la décision américaine. Elle est surtout idéologique et motivée par la volonté de Donald Trump de satisfaire son électorat évangélique extrémiste. Elle tient aussi à la proximité de Jared Kushner, le gendre du président, avec les cercles nationalistes de droite en Israël.

Ivanka Trump lors de l’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, le 14 mai. / RONEN ZVULUN / REUTERS

La France a condamné, mais même si elle le faisait plus durement, cela n’aurait aucune influence sur le gouvernement Nétanyahou, sauf à provoquer une rupture diplomatique. Ce dont ne veut pas Emmanuel Macron, dont la philosophie consiste à parler à tout le monde.

Huboux : Comment réagit l’opinion publique israélienne à ces massacres ?

L’opinion israélienne est majoritairement indifférente au massacre à Gaza. C’est le résultat des années d’Intifada au début des années 2000 et des nombreux attentats-suicides à l’époque. Depuis, les Israéliens souhaitent une séparation nette avec les Palestiniens, ils ne veulent plus les voir ni en entendre parler. C’est le cas depuis le retrait israélien de Gaza et la construction du mur de séparation avec la Cisjordanie. Benyamin Nétanyahou a été élu sur un programme de droite, il n’y a aucune chance qu’il soit sanctionné par l’opinion pour avoir tenu une ligne dure.

David : Israël n’a-t-elle pas perdu hier le soutien des opinions internationales pour longtemps ?

Je pense que le soutien de l’administration Trump donne à Israël le sentiment d’un soutien diplomatique fort, mais c’est une illusion dangereuse. La journée d’hier a causé des dégâts considérables sur l’image d’Israël. Et le plus dangereux est que le pays ne s’en rende pas compte. Car même l’opinion américaine et, en particulier, la grande majorité des juifs américains sont choqués par ce qui s’est passé. Dans l’opinion mondiale, Israël est plus isolé que jamais.

Daniele : Comment réagissent les gouvernements arabes ?

Ils sont plutôt silencieux. Une réunion de la Ligue arabe a été convoquée, mais elle n’est que de pure forme et n’aboutira probablement à aucune décision majeure. Les principaux pays du Golfe (Arabie saoudite et Emirats arabes unis) sont surtout obsédés par l’Iran et voudraient passer une alliance avec Israël contre leur ennemi principal, quitte à oublier la cause palestinienne. Quant à l’Egypte, elle se méfie du Hamas, jugé lié aux Frères musulmans. Elle estime, en outre, que la bande de Gaza est une source de danger pour elle à cause des trafics d’armes avec les groupes djihadistes dans le Sinaï.

Patrick : Peut-on imaginer une action iranienne à la suite de ces événements ? L’Iran semble être un des rares pays à condamner fermement les actions israéliennes.

Il faut voir comment le Hezbollah libanais va agir cet après-midi. Va-t-il laisser des Palestiniens s’approcher de la frontière nord d’Israël, comme plusieurs groupes de jeunes Palestiniens en ont l’intention aujourd’hui ? Cela permettra de mesurer l’attitude iranienne. Je ne crois pas, en revanche, en l’état actuel des choses, à une action iranienne depuis la Syrie par exemple (tirs de missiles). Le violent accrochage de la semaine dernière a probablement rendu les Iraniens plus prudents.

Si, en revanche, les massacres de grande ampleur devaient durer plusieurs jours à Gaza, l’Iran pourrait entrer dans la danse, notamment pour souligner la passivité des pays arabes et regagner une partie des opinions arabes sunnites perdues à la faveur du soutien au régime de Bachar Al-Assad en Syrie.

Lancastre : Pouvez-vous préciser les attentes des Palestiniens en matière de droit au retour ?

Officiellement, les Palestiniens réclament un droit au retour intégral des réfugiés. Cela n’est ni possible ni souhaitable soixante-dix ans plus tard. Et l’un des torts de l’Autorité palestinienne est de ne pas avoir dit qu’elle renonçait officiellement au droit au retour littéral en échange d’arrangements, mais, lors des négociations passées, des solutions ont été esquissées : des échanges de territoires, des compensations financières… Il existe donc des compromis possibles. Maintenir le dogme du droit au retour intégral donne à Israël une justification pour dire que son existence même est menacée.