Le gouvernement s’apprête à mettre 1,3 milliard d’euros sur la table pour Mayotte. Au terme d’un déplacement de trois jours sur place, la ministre des outre-mer, Annick Girardin, a présenté, mardi 15 mai, son plan de rattrapage pour le département. Ce dispositif se veut « une réponse durable » à « un échec des politiques publiques depuis de nombreuses années », selon les termes de la ministre. « Certains estimeront ce plan insuffisant ou trop tardif, a déclaré Mme Girardin, anticipant les critiques à venir, mais la critique systématique dissimule parfois une forme de renoncement. Tout ne s’arrête pas avec ce plan. Regardons au-delà du quinquennat. Le plan proposé aujourd’hui n’est qu’une étape. »

Le plan, fruit du travail de concertation mené par le nouveau préfet délégué, Dominique Sorain, reprend dans les grandes lignes les annonces faites par le premier ministre, Edouard Philippe, le 19 avril à Matignon, après sa rencontre avec les élus mahorais, mais assorti d’un chiffrage et d’un calendrier. Il se décompose en six chapitres (sécurité, justice et immigration ; santé ; social ; éducation et formation ; logement ; infrastructures ; institutions et services de l’Etat), 53 engagements et 125 actions pour un coût global, selon la ministre, de 1,3 milliard d’euros hors personnels de l’éducation nationale (500 recrutements prévus). « Je m’assurerai que les citoyens de Mayotte puissent en suivre la mise en œuvre », a affirmé Mme Girardin.

L’immigration comorienne au cœur des débats

Les mesures pour la sécurité, la justice et l’immigration reprennent pour l’essentiel celles qui avaient été annoncées en mars par la ministre des outre-mer : mise en place de la police de sécurité du quotidien avec un renfort de 20 gendarmes dès 2019, augmentation des effectifs de police et de gendarmerie nationale, affection d’un troisième escadron de gendarmerie mobile pour la lutte contre l’immigration clandestine, création de deux brigades à Koungou. Depuis samedi, un nouveau sous-préfet a pris ses fonctions, spécifiquement chargé de la lutte contre l’immigration clandestine.

Sur ce point, toutefois, la situation reste pour l’heure bloquée compte tenu du refus opposé par les autorités comoriennes d’accepter le retour de ses ressortissants ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire. De fait, les centres de rétention étant saturés, l’administration n’a d’autre choix que de relâcher les immigrés en situation irrégulière, ce qui exacerbe les tensions. « J’ai conscience que le temps de la diplomatie n’est pas propre à satisfaire les attentes de la population », a concédé Mme Girardin, tout en assurant que « nous ne céderons pas, ni moi ni Jean-Yves Le Drian », le ministre des affaires étrangères, qui mène les négociations avec les responsables comoriens.

Une offre de soins renforcée

Mayotte sera dotée, à partir de 2020, d’une agence de santé. Un programme de santé publique va être élaboré accompagné d’une augmentation en 2018 du fonds d’intervention régional, qui passera de 7,5 millions à 11,7 millions d’euros, pour doubler en 2019. Surtout, l’offre de soins va être renforcée et 200 millions d’euros vont être consacrés à la modernisation du Centre hospitalier de Mayotte, ou 30 postes d’assistants spécialisés vont être créés, et à des opérations urgentes d’investissement.

La couverture médicale des Mahorais va être améliorée avec la mise en place à partir de 2019 de la gratuité des soins (exonération du ticket modérateur pour les assurés sociaux sous conditions de ressources) et le déploiement, à partir de 2022, de la couverture maladie universelle complémentaire.

Social : une convergence avec la métropole

L’objectif est la convergence progressive des prestations et des minima sociaux avec ceux de la métropole sur le quinquennat. Cela va concerner l’extension de l’allocation éducation d’enfants handicapés et de l’allocation pour les adultes handicapés, l’allocation journalière de présence parentale, la prestation d’accueil du jeune enfant, la mise en place progressive de la prestation de service unique, l’extension de l’allocation de rentrée scolaire et de l’allocation de logement temporaire ainsi que l’augmentation de la prestation de restauration scolaire dès la rentrée 2018-2019. La ministre, toutefois, a indiqué qu’elle n’excluait pas de « limiter les conditions d’accès à ces ressources en fonction de la durée de présence sur le territoire ».

Mais « Mayotte manque de tout, le seul alignement des prestations ne va pas résoudre toutes les difficultés », ajouté la ministre. C’est pourquoi va être mis en place en 2019, pour la durée du quinquennat, un fonds de développement social pour investir dans les domaines de la parentalité, de l’éducation et de la prévention sanitaire ainsi que des dispositifs d’accueil de la petite enfance. En outre, dès 2018, 4 millions d’euros vont être alloués pour la construction de nouveaux équipements sportifs.

500 millions pour les constructions scolaires

Le vice-rectorat de Mayotte va être transformé en un rectorat de plein exercice. L’Etat va investir 500 millions d’euros sur le quinquennat pour les constructions scolaires, soit un doublement par rapport au rythme de constructions durant le précédent quinquennat. Une mission d’appui va être diligentée afin d’élaborer un plan pluriannuel d’investissements sur dix ans. L’offre de restauration scolaire va également être renforcée. Au total, près de 500 recrutements vont être opérés, dont 345 postes supplémentaires dès la rentrée 2018.

Concernant la formation, une direction régionale de Pôle emploi va être créée à Mayotte au premier trimestre 2019. L’Etat va renforcer le dispositif de service militaire adapté. Les étudiants mahorais et certains salariés à titre dérogatoire pourront bénéficier à la rentrée 2018 du dispositif Cadres avenir pour répondre au besoin de cadres locaux. En outre, 486 formations supplémentaires vont être financées en 2018 pour un coût de 2,2 millions d’euros. Enfin, le nombre de bénéficiaires de la Garantie jeune va être doublé en passant de 200 à 300.

D’avantage de logements sociaux

Dès 2018, les crédits de la politique du logement vont être augmentés de 50 %. L’objectif est de porter la construction de logements sociaux à 400 dès 2018. Une opération d’intérêt national va être engagée afin d’accélérer la production de logements en structurant parallèlement l’organisation des commerces, d’emplois, de services et d’équipements publics. Trois opérations de modernisation vont être engagées dès 2019 dans les quartiers de Kaweni à Mamoudzou, de Majicavo Koropa à Koungou et de la Vigie à Dzaoudzi.

Pour s’attaquer au « fléau des bidonvilles », de nouvelles procédures ont été introduites dans le cadre de la loi logement en cours de discussion au Parlement afin de réduire les délais d’opérations de destruction, sans intervention préalable du juge. « J’ai besoin de l’engagement de tous, à commencer par les élus locaux », a insisté Mme Girardin.

Des transports en commun développés

L’Etat s’engage pour un montant de 113,6 millions d’euros sur quinze ans, notamment pour le développement de transports en commun. Il augmente aussi son effort d’entretien des routes nationales et départementales pour un montant total de 16,3 millions d’euros. En ce qui concerne l’amélioration de la desserte aérienne et le développement de l’aéroport, une mission va être diligentée.

Un plan pluriannuel d’investissement pour les infrastructures et les réseaux d’assainissement de l’eau et la gestion des déchets va être mis en œuvre sur la période 2018-2020 pour un montant total de 150 millions d’euros.

Un soutien à l’économie locale

Il s’agit essentiellement d’apporter un soutien immédiat aux entreprises qui ont été durement éprouvées par la succession de mouvements sociaux, avec notamment un report des obligations fiscales et sociales et l’extension avec effet rétroactif de dispositif d’activité partielle.

En outre, les zones franches vont être renforcées et un dispositif spécifique d’allégement du coût du travail va être instauré qui permettra de compenser l’intégralité de la suppression de l’actuel crédit d’impôt compétitivité emploi. Enfin, l’Etat va accompagner le renforcement des filières pêche et agriculture et relancer la filière dite « ylang-ylang », dont la fleur est à l’origine du surnom « l’île aux parfums » attribué à Mayotte.

Vers une collectivité unique

« Nous ne reviendrons pas sur la départementalisation, a réaffirmé Mme Girardin, mais j’entends aussi le besoin d’adaptation », notamment sur l’évolution institutionnelle du conseil départemental en collectivité unique et sur la répartition des compétences entre l’Etat et les différents niveaux de collectivité. Par ailleurs, a-t-elle ajouté, « l’Etat doit aussi se réorganiser, renforcer ses compétences, renforcer ses effectifs » : « Je veux un Etat fort et un Etat efficace. »

En conclusion, la ministre a reconnu qu’il manquait aujourd’hui « une vision à plus long terme » : « Quelle place voulons-nous avoir dans l’Océan Indien ? Quel rôle pour Mayotte dans l’axe indo-Pacifique que le président de la République appelle de ses vœux ? Pour construire cette prochaine étape, l’État jouera pleinement son rôle au côté des élus. »