Page d’accueil du site Parcoursup.fr (janvier 2018). | Capture d'écran / Le Monde

Le « secret des délibérations » des jurys d’enseignants chargés d’examiner les candidatures reçues via Parcoursup pour entrer en première année d’études supérieures sera préservé. L’Assemblée nationale a eu le dernier mot, lundi 14 mai, lors du vote définitif du projet de loi relatif à la protection des données.

Malgré leurs efforts, les sénateurs n’auront donc pas réussi à convaincre la majorité La République en marche (LRM) au Palais-Bourbon. Lors de l’examen du texte au Sénat, en mars, ceux-ci avaient voté à la quasi-unanimité la suppression de ce secret, après avoir mené un véritable bras de fer, par amendements interposés, avec le gouvernement.

En vertu de ce « secret », les établissements d’enseignement supérieur ont la possibilité de ne pas dévoiler les algorithmes locaux mis au point pour classer les candidats, selon l’adéquation entre leur profil et les attendus de la formation demandée. Les universités ont en outre la liberté de limiter aux seuls candidats qui le demandent l’accès aux critères, aux modalités d’examen et aux motifs pédagogiques qui justifient leur admission ou leur refus d’admission, les règles de transparence étant « réputées satisfaites » d’emblée.

Parcoursup déroge à la loi

Dans ces conditions, Parcoursup déroge à la loi « pour une République numérique » d’octobre 2016, qui impose deux obligations aux administrations recourant à des algorithmes dans le dessein d’aboutir à des décisions individuelles : intégrer systématiquement une « mention explicite » pour informer tous les usagers de l’existence et des modalités d’exercice de leur droit à connaître le détail des « règles » et « principales caractéristiques de mise en œuvre » du programme informatique utilisé ; et mettre en ligne et en libre accès – à compter du 7 octobre 2018 – les règles définissant « les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions ».

A l’Assemblée nationale, lundi 14 mai, le groupe de la gauche démocrate et républicaine (GDR) a tenté de rouvrir le débat en déposant un amendement – rejeté – appelant à « rétablir la communicabilité ou la publication, selon le cas, des règles et caractéristiques de mise en œuvre des traitements algorithmiques utilisés par les établissements d’enseignement supérieur ».

Cet amendement « reviendrait à priver les enseignants […] du bénéfice de la protection de leur délibération », a répondu au nom du gouvernement Nicole Belloubet, ministre de la Justice. « Les 13 000 commissions d’examens des vœux verraient l’intégralité de leurs échanges publiés, au seul motif que ces formations auraient la faculté d’utiliser un algorithme local. »

Pour Nicole Belloubet, renoncer au « secret des délibérations » conduirait les formations « soit à recourir mécaniquement à l’outil d’aide à la décision [les algorithmes locaux] sans lui donner l’orientation pédagogique et sans délibérer sur le fond, soit à l’abandonner et à traiter l’intégralité des dossiers manuellement. Dans les deux hypothèses, […] cela conduit à une impasse. »

« Les recours d’étudiants vont se multiplier »

Rapporteure du texte au Sénat, la centriste Sophie Joissains, qui avait pris la tête de la fronde des sénateurs contre « le « manque de transparence de Parcoursup », fait part de son « effarement » à l’issue du vote à l’Assemblée nationale, dont la majorité LRM « a fait autorité », au détriment d’un « débat fondamental qui touche à la confiance, à l’équité et à l’équilibre du système universitaire ».

« Le “secret des délibérations” ne fera qu’alimenter la polémique. Et les recours d’étudiants vont se multiplier, bien plus encore qu’avec APB, dans la mesure où Parcoursup ne prévoit aucun classement des vœux », prévoit-elle.

« Il est illusoire de dire que chaque dossier de candidature passera entre les mains de professeurs. Seule une minorité sera sérieusement examinée. Le vrai secret n’est donc pas celui des délibérations, mais celui de l’absence de tri véritable avec intervention humaine, car un tel tri est matériellement impossible », poursuit Sophie Joissains. Partant, les critères n’étant pas suffisamment encadrés, « toutes les dérives seront possibles », notamment fixer une note en fonction de « la provenance des candidats », anticipe-t-elle.

Un règlement européen pourrait tout changer

Ce « secret des délibérations  » pourrait cependant être contesté en vertu du Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), qui entre en application le 25 mai et dont le chapitre relatif à la protection des données personnelles devait donner le cadre d’exercice en France. D’application directe, ce texte s’imposera à tous les Etats européens, et pourra être invoqué par les étudiants en cas de litige.

« Dès qu’un étudiant aura un problème et fera appel à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), elle rappellera que c’est le RGPD qui s’applique à l’échelle européenne et que la loi française doit s’y conformer », explique la sénatrice. Et de citer également une délibération de la CNIL du 22 mars, qui rappelle que l’exception aux règles de transparence accordée à Parcoursup est, en réalité, sans effet, car la loi Informatique et libertés et le RGPD lui-même comprennent des règles similaires auxquelles il n’est pas prévu de déroger.

Le président de l’université de Nanterre, Jean-François Balaudé, se dit de son côté favorable à la publication de l’algorithme local utilisé par son établissement. « Il est normal de mettre à disposition des étudiants les algorithmes qui ont été appliqués dans le cadre de leur candidature », indique-il au Monde, ajoutant qu’il n’est pas le seul président d’université à « partager ce sentiment ».