Le livre « Sur la trace de la chouette d’or » est sorti le 15 mai 1993. / Michel Lafon

Combien sont-ils à avoir, pelle dans le coffre et cœur battant, avalé en vain des kilomètres pour déterrer le mythique trésor ? Des centaines, des milliers sans doute qui, depuis vingt-cinq ans, s’obsèdent pour une sculpture de rapace, enfouie dans un lieu tenu secret en France, par un dénommé Max Valentin. Le 15 mai 1993, cet auteur lançait officiellement la quête de la chouette d’or, une chasse au trésor basée sur un livre* regroupant onze énigmes accompagnées d’illustrations de Michel Becker.

La personne qui réussirait à les résoudre découvrirait alors l’emplacement exact de l’objet, une contremarque de bronze, qu’il pourrait échanger contre la véritable chouette d’or. Valeur estimée à l’époque : un million de francs, soit 150 000 euros.

Réédité trois fois, écoulé à 70 000 exemplaires et épuisé aujourd’hui, l’ouvrage fut un succès qui avait conquis des milliers d’esprits. Comment expliquer qu’avec l’arrivée, depuis, d’Internet, de Google et de Wikipédia, la chouette reste encore, vingt-cinq ans plus tard, introuvable ?

Bibliothèques et parano

« Internet, c’est un piège », avance Gérard Simon, alias Garp, « chercheur de chouette » depuis les débuts et aujourd’hui président de l’A2CO, l’association des chercheurs de la chouette d’or.

« Aujourd’hui, certaines énigmes sont plus difficiles à trouver qu’il y a vingt ans. Prenez l’exemple d’une énigme basée sur la distance entre la Terre et une étoile. De nouvelles mesures ont été effectuées depuis, le chiffre a pu évoluer. C’est pareil pour le nom de certaines communes, qui a pu changer. »

Cet informaticien à la retraite a commencé à l’époque où, pour suivre une piste sur Napoléon par exemple, il ne suffisait pas d’utiliser un moteur de recherche. Il fallait écumer les encyclopédies, farfouiller dans les librairies et les bibliothèques. « Il y avait quand même le téléphone, qui permettait de trouver des informations. En fouinant dans les livres, on tombait sur des associations spécialisées, dans la musique ou dans une église, et on les appelait. »

L’énigme 780, l’une des onze qui composent la quête de la chouette d’or.

3615 MAXVAL

Autre technologie de communication de l’époque : le Minitel, sorte d’ancêtre français d’Internet, accessible par des machines dédiées. Il fut massivement utilisé par ceux qui se surnomment les « chouetteurs ». Et pour cause : Max Valentin lui-même y avait ouvert un serveur payant, 3615 MAXVAL, sur lequel il répondait à leurs questions. Des réponses courtes, souvent elles-mêmes très ambiguës, surnommées les « Madits », contraction de « Max m’a dit ».

Max Valentin répondait aux questions des « chouetteurs » par Minitel. / Christian Heindel / Flickr/CC

« Je suis un as des Madit, je me suis écorché les yeux dessus ! », témoigne Tina Delly (son « nom de chouette », dit-elle), directrice d’un centre d’hébergement dans le Finistère. C’est quatre ans après la publication du livre qu’elle s’est mise à chasser le rapace, aidée de son Minitel, et des bibliothèques dans lesquelles elle passait des heures.

En 2003, après s’être montrée très réfractaire, elle décide, finalement, de se doter d’un ordinateur et de se connecter à Internet, « pour retrouver les autres chercheurs », après six ans de recherche solitaire. « Et là, ça a tout bouleversé. » Elle découvre une communauté bouillonnante, déjà bien établie en ligne, autour de quelques sites et forums très actifs. Là, des centaines de « chouetteurs » échangent leurs idées, débattent, nouent des amitiés.

L’illustration accompagnant l’énigme 780. / Michel Becker

« J’étais trop contente de partager, raconte Tina Delly, aujourd’hui âgée de 47 ans. Je ne connaissais même pas le terme “chouetteur” ! J’ai trouvé des solutions que je n’aurais jamais trouvées seule. On se complète tous. Aucun chercheur ne pourra se prévaloir de tout avoir trouvé tout seul. »

« Avec Internet, vous commencez à délirer »

Elle en déduit aussi que « quelqu’un qui commence la chasse aujourd’hui ne vivra pas la même expérience : il aura déjà les premières solutions », connues de tous les chercheurs. Pour les suivantes, en revanche, ce sera plus compliqué… Si certains dévoilent leurs idées, d’autres les gardent jalousement – quand ils ne jouent pas à diriger leurs concurrents vers une fausse piste.

Et celles-ci sont légion, indéfiniment abreuvées par l’existence même d’Internet. C’est ce qu’explique Patrick Schmoll, ancien « chouetteur » et actuellement anthropologue au CNRS, auteur d’une « socio-ethnographie » sur cette communauté :

« Les chercheurs ont pensé au début que la mise en commun des connaissances, grâce à Internet, permettrait d’avancer plus vite. Mais si, soudain, vous amassez les connaissances, vous commencez à délirer ! Il y a tellement d’associations d’idées possibles par les connaissances accessibles que ça devient presque insoluble, puisque vous ne pouvez pas vous empêcher de partir dans des élucubrations. »

Au point de créer des tensions entre « chouetteurs », dont les relations ne sont pas toujours au beau fixe. « La netiquette de départ, c’est terminé », soupire Simon Juliac, 36 ans, modérateur sur le forum LaChouette.net, qui accueille une centaine de messages par jour en moyenne. « Il y a des comportements agressifs et des interventions très limites. Avec des farfelus plus dangereux que d’autres. » Le trentenaire doit toujours, estime-t-il, garder un œil sur le forum, « pour éviter que ça dégénère ».

Démêlés judiciaires

Des tensions exacerbées depuis une série de mésaventures désastreuses dans l’histoire de la chouette d’or. La faillite, en 2004, de la maison d’édition détenant les droits de l’ouvrage. La saisie, dans la foulée, de la chouette d’or par un liquidateur judiciaire. La découverte, deux ans plus tard, de cet épisode par les « chouetteurs » catastrophés. Et la mort, en avril 2009, de Max Valentin, de son vrai nom Régis Hauser, figure adulée des chercheurs.

Depuis, une série d’interrogations et de démêlés judiciaires assombrissent l’atmosphère du jeu. Si Michel Becker, le sculpteur de la chouette et auteur des illustrations des énigmes, est parvenu à remettre la main sur le trésor, il ne détient pas l’enveloppe contenant les solutions, qu’il dit appartenir aux héritiers de Max Valentin.

L’illustration de l’énigme 600. / Michel Becker

« Ces événements ont donné du grain à moudre à ceux qui pensent que le jeu est truqué, aux conspirationnistes et à leurs théories fumeuses », déplore le modérateur Simon Juliac. Les camps se sont divisés, s’éparpillant sur plusieurs forums ou groupes Facebook. Michel Becker, qui a tenté de revendre la chouette d’or aux enchères en 2014 « après de nombreux déboires et un contrôle fiscal de dix ans », comme il l’explique au Monde, s’est attiré les foudres de la communauté.

Il a, depuis 2014, « retiré la dotation », car selon lui, « l’intégrité du jeu n’est plus garantie ». En clair, si un « chouetteur » venait à déterrer le trésor, il ne serait pas assuré de récupérer la chouette d’or – une procédure judiciaire est toujours en cours à ce sujet.

Encore faudrait-il, pour en arriver là, que la contremarque soit toujours enfouie quelque part en France. Michel Becker, qui dit ne pas connaître son emplacement, craint que Max Valentin ne l’ait déterrée avant sa mort, pour la protéger de ces troubles. Mais les « chouetteurs » y croient toujours dur comme fer. Garp est « persuadé » qu’elle attend là, quelque part sous la terre de France. Malgré ce « sacré micmac », Tina Delly pense toujours « qu’elle est trouvable ». Et s’accroche à cette citation de Max Valentin, qui avait estimé, dans un Madit de 1996, que « si tous les chercheurs mettaient leurs connaissances en commun, la chouette serait trouvée (…) en deux heures ». Elle se prend à rêver que la solution est déjà là, dispersée au milieu des centaines de milliers de messages publiés en ligne depuis tant d’années.

Sur la trace de la chouette d’or, de Max Valentin, illustrations de Michel Becker, Manya, album illustré en couleurs, 42 p., vendu 89 francs en 1993.