Le militant Mohamed Youssouf Bathily, dit Ras Bath (à gauche), avec Soumaïla Cissé, leader de l’Union pour la république et la démocratie, à Bamako, le 12 mai 2018. / SEBASTIEN RIEUSSEC / AFP

Chronique. Souffrez que j’accable Mohamed Youssouf Bathily, dit Ras Bath. Son intransigeance, son inventivité et celle de ses compagnons du Collectif pour la défense de la République (CDR) m’ont fait rêver. Animateur radio à Bamako, juriste de formation et poil à gratter de la classe politique, Ras Bath a depuis un an une idée fixe : l’alternance en 2018. Après la critique au vitriol de la « démocrature » malienne, le collectif semblait avoir trouvé la formule pour impliquer les citoyens dans les choix et la mise en œuvre effective des orientations politiques. Mais ce renouveau démocratique s’apparente malheureusement à la vieille politique africaine.

Jusqu’aux 24 et 25 mars, le CDR participait de ces organisations de la société civile investies dans le champ politique – à l’instar de Y’en a marre au Sénégal ou du Balai citoyen au Burkina Faso – et qui aujourd’hui se satisfont de mettre en place des « présimètres ». Mackymetre.com pour le programme du président sénégalais, Lahidi.org pour le Guinéen Alpha Condé, Presimetre.vote229.org pour le Béninois Patrice Talon. Pourtant, chez Ras Bath et ses pairs, un je-ne-sais-quoi présageait d’une maturité neuve, d’un bond en avant que vinrent entériner leurs premières concertations populaires.

Troisième voie

La disruption était à l’ordre du jour : le CDR travaillait à une plateforme de propositions. Mieux, il invitait les dirigeants, représentants des partis politiques de l’opposition et candidats à l’élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 29 juillet, à souscrire à son « Manifeste pour un Mali nouveau ». Il y avait là Soumaïla Cissé (Union pour la république et la démocratie), Cheick Modibo Diarra (Rassemblement pour le développement du Mali), Tiébilé Dramé (Parti pour la renaissance nationale), Moussa Sinko Coulibaly (Plateforme pour le changement)… Et Ras Bath de les prévenir : « Nous ne plaçons pas notre espoir sur le président de la République mais en la capacité du peuple à surveiller le président. »

Exercer le pouvoir sans prendre le pouvoir ! Voilà ringardisés le dégagisme et les tentatives de démocratie participative, dépassée l’injonction du « politisez-vous ». En terre malienne, un pacte populaire surclassait le pacte écologique de Nicolas Hulot. Distancés les Indignés, Occupy Wall Street, Nuit debout et autres éveils démocratiques en Occident. Une révolution ! Nous pouvions désormais pousser nos mandarins de la pensée dans les orties tant il devenait manifeste que les idées de rupture émanent des militants, Kémi Séba et le franc CFA ; maintenant le CDR et la question de la démocratie. Saperlipopette ! Outre l’infécondité, la cécité intellectuelle frapperait-elle aussi nos « sachants », commentateurs patentés et analystes politiques ? Nous ne demandions visiblement pas l’impossible, juste de garder l’œil ouvert.

Qui est Ras Bath, l’agitateur vedette du Mali ?
Durée : 02:05

Le CDR engageait une remise en cause profonde du paradigme de l’impossible souveraineté populaire en Afrique, ce consensus théorique fondé sur le couple despote-démocratie apparente qui conduit, au choix, à un désenchantement électoral ou à une révolte généralisée. Sans rejeter les urnes, sans glorifier le prix du sang, le CDR ouvrait une troisième voie où s’affirmerait le caractère inaliénable de la volonté du peuple et de son habilité à exercer le pouvoir. Qu’importe le bourrage des urnes, semblait-il dire, qu’importe la manière, le vainqueur quel qu’il soit serait lié aux engagements pris… Le peuple y veillerait.

Il déjouait ainsi un travers constitutionnel généralisé, en introduisant un contre-pouvoir à l’action du président, voire à l’abus de pouvoir présidentiel. Car ce que n’annonce pas la Constitution de la Ve République française, modèle qui s’exporte si bien en Afrique, c’est la toute-puissance d’un président quasiment incontrôlable après son élection : libre de conduire une politique rejetée par le peuple sans risque d’être écarté du pouvoir par les parlementaires. En se focalisant sur l’action présidentielle, désormais contractualisée, le CDR y aurait introduit la responsabilité politique et légitimé la dénonciation par la rue.

Schéma partisan

Certes, le CDR ne représente pas tout le peuple malien, il ne le prétend pas. Mais s’offrait l’occasion d’admettre que les luttes politiques sont des luttes d’idées, de visions, de projets et non de vérités éternelles, loin de l’habitus du consensus bâtard qui engendre tant de conférences et de gouvernements d’union nationale en Afrique depuis les années 1990. Nous en aurions fini avec la tentation de l’unanimité, ses usurpations de pouvoir fondées sur le parcours professionnel, ses présomptions au despotisme cette fois éclairé, l’homme providentiel, le peuple sorti des ténèbres, ces « moi président » qui font les ministres mais défont la politique. C’en était enfin fini avec « le peuple », devenu « les citoyens ».

Hélas, ces possibles s’évanouissaient dès le 26 mars avec le retour du schéma partisan. Car au lieu d’imposer son manifeste à tous, le CDR annonce qu’il va sélectionner, soutenir et faire élire un candidat. Pire, l’organisation soumettra ses propositions aux partis aspirant à l’alternance et sera seule juge de la vérité de l’aspiration. Ras Bath ajoute que le CDR n’a pas présenté de candidat à la présidentielle parce qu’il vise des sièges à l’Assemblée nationale… Jeux d’alliances, conquête du pouvoir, retour au vieux monde… et à « la politique de papa ».

Alors que se présentait une occasion en or pour résoudre cet Œdipe politique, la question se pose : le CDR n’était-il que l’habit neuf des partis ? L’interrogation prend une résonance particulière depuis ce 4 avril où Mohamed Aly Bathily, père de Ras Bath, ex-ministre de la justice puis de l’habitat de l’actuel président, Ibrahim Boubacar Keïta, officiellement passé à l’opposition, s’est déclaré candidat à la présidentielle. Jeudi 10 mai dans Jeune Afrique, il déclarait : « Aucun parti politique ne peut avoir la prétention aujourd’hui de gagner l’élection sans la société civile. Et cette société civile ne veut pas des partis politiques. » Et, répondant sur Ras Bath : « Ce n’est pas lui qui est mon fils, c’est moi qui suis son père. »

Sarah-Jane Fouda est consultante en communication, spécialiste du discours et de l’argumentation. Elle enseigne la logique informelle à l’Université Paris-III Sorbonne-Nouvelle.